La proposition de loi (PPL) du groupe socialiste sur la neutralité du net, initiée par Christian Paul et co-signée par plus de 70 parlementaires a été examinée en séance par l'Assemblée nationale le 17/2 dernier. Comme l'on pouvait s'y attendre, la droite, qu'elle soit parlementaire ou gouvernementale, a cherché à éviter le débat.
Un débat refusé
Pour bien signifier son refus de débattre, le gouvernement a demandé un vote bloqué, un vote unique sur le texte et sur tous les amendements qui ont été déposés. Craignant d'être mis en minorité, le gouvernement a également demandé la réserve de ce vote, reporté au 1er mars. C'est malheureusement le sort réservé à la plupart des PPL déposées par l'opposition ces derniers temps. On pourrait se demander comment on peut prétendre revaloriser le parlement en traitant ainsi l'opposition... Ce sera peut-être le sujet d'un autre billet. On pourra se satisfaire dans l'immédiat du commentaire de Jean Launay :
« C’est la manip habituelle, qui n’honore pas le travail du Parlement ! »
Pourquoi une PPL ?
De nombreux observateurs se sont demandés pourquoi déposer ainsi une PPL alors que des missions sont en cours, des rapports doivent être remis, bref, que le débat se poursuit. La question se pose apparemment d'autant plus que le destin d'une PPL déposée par l'opposition est assez prévisible... Elle appelle plusieurs réponses.
Un calendrier flou
La première porte sur la confiance que l'on peut avoir en la droite, et plus particulièrement en le gouvernement, pour se saisir de cette question. Les interventions le 17/2 de Corinne Erhel et de Jean-Marc Ayrault sont très explicites sur ce point.
Jean-Marc a ainsi rappelé le précédent de la loi sur les conflits d'intérêts, thème dont le gouvernement avait promis de se saisir, sans que l'on ait vu venir quoi que ce soit - si ce n'est quelques cas flagrants de conflits d'intérêts de plus :
« M. Jean-Marc Ayrault. J’ai écouté avec attention toutes les interventions – le rapporteur, la discussion générale, le président de la commission et la réponse du ministre – et je m’aperçois que, comme chaque fois que nous déposons une proposition de loi sur un sujet important, touchant aux libertés publiques ou à l’intérêt général, on nous répète la même chose : il est urgent d’attendre. On vient de nous le dire une fois de plus à propos de la neutralité d’internet. C’est pourtant une question essentielle et le ministre l’a expliqué à sa façon, même si je ne partage pas ses conclusions : une lutte féroce est engagée, pour le contrôle de la richesse des réseaux. Elle oppose les géants du numérique, les éditeurs de contenu aux fournisseurs d’accès et aux opérateurs de télécommunication. Les internautes ne doivent pas en faire les frais. Il n’est pas acceptable de réduire l’internet à un web public résiduel et de freiner l’innovation. Si nous laissons faire, l’égalité d’accès à internet ne sera plus demain qu’un lointain souvenir.
M. Christian Paul, rapporteur. Absolument !
M. Jean-Marc Ayrault. Avec cette proposition de loi, nous avons une occasion historique de nous prononcer, et vous avez une lourde responsabilité à prendre. Je sais que, comme toujours, vous allez demander la réserve et que le vote n’aura lieu qu’au début du mois de mars, après la semaine d’interruption des travaux de l’Assemblée nationale. Toutefois, ce matin, nous pouvons au moins débattre.
Cela me rappelle notre proposition de loi sur les conflits d’intérêt, il y a déjà de nombreux mois. À l’époque, on nous avait dit que ce n’était pas un sujet important, que ce n’était pas d’actualité, que l’on aurait à travailler plus tard sur ce sujet, que l’on nous ferait des propositions, qu’il était urgent d’attendre. Mais nous avions raison et l’on nous a indiqué, depuis, qu’il y aurait un rapport : il y en eut un, excellent, présenté par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, et dont nous approuvons l’essentiel des préconisations – auxquelles nous souhaiterions toutefois ajouter des dispositions concernant les parlementaires –, mais nous attendons toujours le projet de loi. »
Corinne, présidente de la mission d'information sur la neutralité du net, et peu suspecte de minoration de cet intéressant travail, s'est longuement interrogée sur le calendrier annoncé par le ministre, qui promettait, au mieux, de venir discuter avec la commission des affaires économiques en... novembre 2011 :
« Mme Corinne Erhel. ... Afin de resituer le contexte politique de ce débat, je reviendrai brièvement sur les différents travaux concernant la neutralité qui ont eu lieu depuis une année : les travaux de l'ARCEP ; le rapport gouvernemental apparu brièvement et qui a disparu aussi vite ; une table ronde au Sénat ; la transposition du paquet Télécom par voie d'ordonnances ; l’adoption d’un amendement concernant la neutralité mais qui ne concerne que les relations entre fournisseurs de contenu et fournisseurs d’accès, ce qui en réduit fortement la portée ; la mission d'information parlementaire ; enfin le texte que nous examinons aujourd'hui à l’initiative de Christian Paul.
En Europe, la consultation publique de la Commission européenne sur le sujet fera sous peu l'objet d'une publication. Aux États-Unis, la FCC, le régulateur américain, a publié récemment un corpus de règles sur la neutralité. La séance d'aujourd'hui devrait ainsi vous permettre, monsieur le ministre, de nous préciser votre opinion sur la question, vos récentes interventions suscitant plusieurs interrogations.
Le 30 novembre 2010, au sujet de la neutralité, vous avez déclaré devant la commission des affaires économiques que le Gouvernement avait « choisi de s'en tenir aux dispositions du paquet Télécom avant de procéder à une éventuelle évolution de la doctrine. »
Le 13 janvier 2011, en séance publique, vous demandiez à Laure de la Raudière de retirer son amendement sur le sujet en ces termes : « Pour l’instant, je vous serais reconnaissant de bien vouloir retirer votre amendement au bénéfice du débat que nous aurons prochainement. » Comme l’indiquait déjà un communiqué de presse la semaine dernière, vous annoncez des propositions pour le 30 novembre 2011 ; je vous rappelle que nous sommes le 17 février.
Le rapport de la mission d’information sur la neutralité des réseaux et de l’internet sera rendu public le 12 avril prochain, soit sept mois avant la divulgation de vos propositions. Vos déclarations nous inquiètent donc car vous semblez décidé à repousser le débat jusqu’à le rendre impossible puisque, en novembre 2011, nous serons à quelques mois d’échéances politiques majeures,…
Mme Catherine Coutelle. Eh oui !
Mme Corinne Erhel. …et je crains malheureusement que cette proximité nuise au débat, si elle ne sert pas de prétexte pour l’enterrer.
M. Christian Paul, rapporteur. C’est l’objectif du Gouvernement ! »
Difficile dans ce contexte de ne pas soupçonner une tentative de noyer le poisson jusqu'en 2012, le débat étant alors accaparé par la présidentielle. Il est donc manifestement nécessaire d'aiguilloner un peu le gouvernement et la majorité. C'est la première utilité de ce texte.
Il est, soit dit en passant, pour le moins curieux d'appeler à légiférer plus tard, une fois que le débat sera terminé, lorsque l'on traite d'un objet aussi mouvant que la société de l'information. Ce d'autant plus que le débat sur la neutralité du net n'est pas neuf, et me semble pour le moins formé.
Pour moi, deux philosophies s'opposent en réalité ici : celle d'inspiration libérale, au sens français du terme, consistant à laisser-faire puis à intervenir a posteriori. C'est celle de la Commission européenne et, manifestement, de la majorité. Elle est inopérante dans la société de l'information où, comme nous l'a expliqué depuis longtemps Lawrence Lessig, et comme l'a rappelé Christian, le «code» technique, une fois déployé, ne pourra que très difficilement être modifié par le «code» législatif. Elle nous condamne à l'impuissance . Une autre philosophie consiste à définir des principes et à demander à la technologie de s'y conformer. Elle est plus volontariste. Et, pour les mêmes raisons, plus efficace.
«M. Christian Paul, rapporteur. ... Enfin, mes collègues de la majorité comme le Gouvernement ont regretté que nous ayons considéré qu’il y avait une certaine urgence. Or nous ne travaillons pas ce matin dans la précipitation. Et nous n’avons pas le pouvoir de décréter l’urgence pour l’examen d’un texte, tandis que le Gouvernement l’a fait à de nombreuses reprises, y compris s’agissant de la loi HADOPI, qui vous a valu tellement de déboires. Oui, il est aujourd’hui nécessaire d’agir sans tarder.
Ce débat, Corinne Erhel l’a rappelé, a déjà lieu depuis deux ans au plan européen. Au plan mondial, les premiers articles sur ce sujet de Lawrence Lessig ou de Timothy Wu remontent à dix ans. Oui, il y a donc bien urgence à agir. Le débat est clairement constitué, au moins sur le terrain des principes. Qu’il faille ensuite des exceptions à ces principes, qu’elles soient encadrées, notamment en donnant un rôle éminent à l’ARCEP, cela pourra venir dans les articles, dans les amendements, ou éventuellement dans d’autres textes.
C’est le principe qu’il est urgent d’inscrire aujourd’hui. Demain, il sera trop tard, et nous voulons prévenir plutôt que guérir. Nous voyons bien que, dans le domaine de l’internet, le législateur et les gouvernements successifs courent derrière la société numérique. Nous vous proposons, pour une fois, de rattraper une partie de ce retard, et d’éviter d’intervenir a posteriori, quand il est généralement trop tard. C’est aujourd’hui qu’il faut le faire, et nous vous invitons à prendre vos responsabilités.
Pour la neutralité, le Gouvernement préconise de façon dilatoire de renvoyer à plus tard. Plusieurs d’entre nous, dont François Brottes et Corinne Erhel, ont parlé d’enterrement de première classe du débat. Je crois vraiment que le risque de déstabilisation de l’internet ne naît pas de la régulation que nous proposons, mais de la façon dont le marché impose ses modèles et ses lois. Oui, cela est déstabilisant pour l’internet que nous voulons.
Je rappellerai une intervention, qui n’est pas récente, ce qui prouve que ce débat n’est pas neuf. Il y a plus de dix ans, c’était en 1999, nous avions invité le grand juriste Lawrence Lessig pour les premières rencontres parlementaires sur la société de l’information. Il nous disait déjà ce jour-là qu’en matière d’internet, il y avait deux codes : le code des législateurs, qui arrive trop tard et qui est souvent impuissant, et le code technique, sur le réseau, qui est celui qui s’impose réellement.
Nous croyons, quant à nous, à la volonté politique et à la possibilité de l’exercer, y compris dans le monde numérique. Nous considérons donc qu’il est nécessaire d’écrire le code du législateur, et c’est ce que nous vous proposons de faire, avant que le code des opérateurs ne s’impose au détriment des valeurs que nous défendons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) »
Clarifier le débat
La seconde réponse - et seconde utilité - porte sur le fond du débat. Celui sur la neutralité du net est, depuis ses débuts, parti dans tous les sens. Sous prétexte de technicité, chacun avance en effet sa définition, de Pascal Rogard et sa neutralité «dans le respect du droit d'auteur» à tel opérateur acceptant le principe de neutralité tant qu'il peut prioriser les flux en fonction d'une crainte d'encombrement, voire afin de préserver un modèle d'affaire, en particulier sur les communications vocales, en passant par un ministre défenseur de la neutralité mais se piquant d'interdire wikileaks sans décision de justice un beau matin.
Il était donc pour le moins utile, dans ce contexte, de proposer une définition, de poser un principe, dont la discussion permettra au moins de cerner la réalité des positions. Celle proposée par Christian et le groupe socialiste a, contrairement aux motifs avancés pour refuser de voter, le mérite de la simplicité.
Je suis frappé de voir dans ce contexte le crédit donné par certains «médias de référence» aux propos d'Éric Besson invitant à ne pas faire preuve d'«absolutisme» en matière de neutralité du net, tout en appelant à ne pas s'intéresser au seul réseau mais également aux terminaux, aux services, aux moteurs de recherche, etc. Dans le même registre, le Sénateur Hérisson s'était attiré des moqueries en estimant que «trop d'update tue l'update». Apparemment, on peut, comme Éric Besson, estimer gravement que «trop de neutralité tue la neutralité» et être pris au sérieux. Certains journalistes gagneraient tout de même à ne pas s'arrêter aux communiqués de presse du gouvernement...
Quelques différences significatives
Malgré son refus de débattre, la droite n'a pu éviter de mettre à jour quelques différences importantes. J'en retiendrais trois.
Sur la définition de la neutralité du net
La première, que Christian Paul a brillamment résumé, porte sur la définition même de la neutralité :
« Cela peut signifier la transmission homogène des informations, c’est le point de vue que nous défendons avec le groupe socialiste. L’autre approche est l’accès non discriminatoire à différentes qualités de service. Cette seconde vision, l’accès non discriminatoire, certes, mais à des qualités de service différentes, c’est le début du cloisonnement de l’internet, de sa fragmentation, et c’est donc un risque majeur de disparition du réseau, et en tout cas une atteinte forte aux principes essentiels de l’architecture de l’internet.»
La neutralité comme principe et non comme exception
La seconde porte sur la définition de la neutralité comme principe et non comme exception. Dans son intervention, Christian a mis en garde contre l'idée d'une qualité de service minimal, d'un «internet résiduel». Bref, d'une philosophie selon laquelle il faudrait préserver la neutralité... des services existants, alors que le net s'invente toujours jour après jour :
«M. Christian Paul, rapporteur. ... Les fondateurs du net nous ont donné des services interopérables en nombre incalculable : le courrier électronique notamment, que chacun peut utiliser de la manière qu'il souhaite. Tout cela fait aujourd'hui partie de notre quotidien. L'histoire de l'internet ouvert ne s'arrête pas là. Nous devons inventer et déployer les outils permettant de distribuer de manière optimale les contenus les plus lourds, comme la vidéo, ou, au moins, préserver un cadre rendant possible cette invention. Une première innovation législative serait un arrêt immédiat de la guerre faite au partage qui, en rendant suspects la « superdistribution » et, plus largement, le peer to peer –, quels que soient les contenus concernés – cause un énorme gâchis de ressources.
Les services gérés sont l'avenir de l'économie numérique, nous dit-on. En est-on bien sûr ? Et qu'est-ce exactement qu'un service géré ? Sous prétexte d'une congestion maintes fois annoncée, jamais avérée, de puissants intérêts ne chercheraient-ils pas à se voir conférer des pouvoirs spéciaux ?
Mme Laure de La Raudière. Ce n’est pas çà !
M. Christian Paul, rapporteur. Il nous faut résister à la tentation du minitel 2.0.
Voilà pourquoi cette proposition nous invite à renoncer au renoncement.
Oui, la neutralité doit être le principe et non l'exception. C'est après l'affirmation du principe que des exceptions ou des dérogations peuvent être éventuellement envisagées, à titre temporaire et sous le contrôle de la puissance publique.
La FCC, le régulateur américain, évoque ainsi la « gestion raisonnable » du réseau. Pour autant, je vous mets en garde contre l’idée qui circule – y compris du côté du Gouvernement – d’une qualité de service minimal sur l’internet, qui pourrait être faussement protectrice, une sorte de net résiduel, de bande d’arrêt d’urgence sur le bas-côté des autoroutes de l’information.
De vraies questions restent posées. Par exemple comment mieux valoriser le réseau et faire contribuer davantage les grands éditeurs de services ? Les FAI doivent-ils être rémunérés exclusivement par leurs abonnés ? Le revenu de l'abonnement mensuel à l'internet doit-il revenir au seul FAI ? Comment investir sur les réseaux ? Qui doit le faire pour le très haut débit – le privé, le public, ensemble ou séparément – dont le déploiement est aujourd'hui sans pilote public, monsieur le ministre, je le dis solennellement ? Comment soutenir l'innovation ouverte ?
Il s’agit de vrais défis. Cependant faut-il, pour les résoudre, prendre en otage les principes essentiels de l'internet, et ainsi prendre les internautes en otages ?
Nous défendons une autre idée de l'avenir de l'internet, l'image d'une ville libre et non celle d'une galerie marchande confisquée ; la vision d'un système ouvert, où l'innovation n'est pas entravée ; l'idée d'une société à haute qualité démocratique, où la liberté d'expression serait définitivement impossible à brider.
L'internet est, comme la démocratie, la réussite d'un formidable pari sur l'intelligence collective et la capacité de chacun à tirer positivement parti de ses nouvelles libertés. C'est bien d'un pari qu'il s'agit. L'internet que nous connaissons aujourd'hui n'est qu'une étape. Après avoir redéfini le rôle de l'éditeur, nous avons encore beaucoup à construire. La diffusion centralisée de l'information et l'émergence de quelques géants des services, de YouTube à Facebook, appellent une nouvelle étape de l'appropriation sociale des possibilités du réseau. Demain, nous pourrions tous devenir diffuseurs de notre propre information ; garants de notre identité et de nos données personnelles.
En acceptant des exceptions au principe de neutralité qui ne soient pas fondées sur des caractéristiques objectives du réseau, sans intention stratégique, sans autre motivation que le contrôle de la qualité de service, ce sont bien des discriminations économiques, dans le sens le plus négatif de ce terme, que nous autoriserions Nous devons préserver le potentiel libérateur des technologies numériques.
Plus grave, la haine de l'internet est souvent un mépris de la démocratie. À un paternalisme qui proscrit la responsabilité, l'autonomie et la diversité, sur le plan démocratique comme en matière économique, nous préférons l'invention de nouveaux droits, l'extension des libertés fondamentales et un droit réel d'innover. C'est aussi la capacité pour le faible d'innover face au fort.
Ne nous trompons pas de combat. La bataille que nous vous proposons de mener est une bataille pour nos libertés. Ce matin ou demain, ce combat l'emportera, face aux arguments juridiques mobilisés à la hâte, qui dissimulent mal l'impuissance, face aux censeurs, aux intérêts puissants. Nous avons bien conscience d'éclairer l'avenir, de proposer des règles justes. Merci à celles et ceux qui auront le courage, en votant ce texte, de contribuer à oser vraiment la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) »
Pour certains, l'innovation sur le réseau serait nécessairement discriminatoire et synonyme de priorisation, filtrage, bridage. Quelle piètre considération pour la capacité d'invention de l'Internet... Il est vrai que lorsqu'on lutte contre ce qui est efficace, comme la superdistribution et le P2P, on doit bien se trouver d'autres types d'innovation...
Ériger la neutralité en principe n'empêche pas l'existence d'exceptions - les fameux «services gérés». La télé sur ADSL, par exemple, est pour moi l'exemple d'une exception que l'autorité de régulation aurait accordée sur la base de la PPL neutralité de Christian, si elle avait eu force de loi. Mais elle aurait alors été encadrée, afin d'éviter les distortions de concurrences avec l'audiovisuel «full IP», afin, par exemple, de garantir un accès non discriminatoires aux plateformes de diffusion. On notera au passage qu'en procédant ainsi, on évite de se donner la peine de définir la neutralité pour ensuite mieux donner une dérogation générale sous prétexte de «gestion de service», concept à ce jour tout aussi indéfini que la neutralité du net.
Pour un internet contrôle par tous ses utilisateurs
La troisième différence est dans la répartition du contrôle des priorités. Jean Dionis du Séjour l'a dit sans équivoque, il veut un Internet de services gérés, où les priorités des flux sont déterminées par les opérateur. La philosophie du texte socialiste est différente et raisonne par classe d'usages. Pour bien enfoncer le clou, un amendement affirmant que le choix de la priorité doit être à l'initiative de l'utilisateur a été déposé.
« M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 7.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Paul, rapporteur. L’objectif de cet amendement est de garantir que les internautes gardent clairement le contrôle de la façon dont sont acheminées leurs communications sur le réseau internet. C’est l’une des conséquences concrètes évidentes de l’architecture du réseau.
Il peut être justifié de traiter différemment les divers flux internet en fonction des besoins des usagers. Mais ce sont les utilisateurs qui doivent pouvoir le faire. C’est l’une de nos divergences dans ce débat : il nous paraît dangereux de laisser les opérateurs définir eux-mêmes ces besoins.
Nous avons proposé de poser le principe du choix de la classe de service par l’internaute lui-même, et l’exception de l’acheminement non prioritaire de la communication sur demande du fournisseur d’accès à l’ARCEP, ce qui conduit, vous le comprendrez, à renverser la charge de la preuve.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Éric Besson, ministre. Défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.
M. Jean Dionis du Séjour. Cet amendement est important. Christian Paul a raison de parler de deux visions. Car cet amendement, s’il était adopté, contesterait aux opérateurs techniques la possibilité de gestion. Or nous voulons une architecture claire, avec, d’un côté, un internet qui soit un service universel dont on débat, et garantissant un internet de qualité à tous et, de l’autre côté, des services gérés. Mais il ne faut pas être ambigu : ils seront gérés à l’initiative des prestataires internet eux-mêmes, certainement pas à l’initiative des utilisateurs et de l’ARCEP. Cette architecture n’est pas la bonne. C’est pourquoi nous contestons fondamentalement cet amendement n° 7 »
J'ai pu lire ça et là qu'une telle liberté de choix était utopique... Commentaires qui ne sont pas sans rappeler ceux qui, en France, à la fin des années 90, prédisaient l'échec rapide de cet Internet «dépourvu de modèle économique».
Construire une position socialiste
La troisième réponse à la question "pourquoi une PPL ?" est que l'opposition, ou du moins celle qui aspire à gouverner, doit travailler sur un sujet tel que la neutralité du net. Une PPL n'est pas un texte rapidement écrit que l'on jette en passant sur un coin du bureau de l'assemblée avant d'aller prendre son quatrième café de la journée. C'est au contraire, du moins lorsqu'il s'agit d'un texte déposé par un groupe, comme c'est le cas ici, le produit d'un travail collectif. Ce travail est ici collectif à double titre : d'une part, avec le débat en ligne autour de ce texte organisé dès août dernier ; d'autre part, avec son passage devant les commissaires du groupe socialiste intéressés par cette question, membres de la commission des affaires économiques, de la commission des lois et de la commission des affaires culturelles. Tout comme pour le débat en ligne, ce passage aura permis d'améliorer le texte et de dégager un accord politique sur son contenu. Il est d'ailleurs significatif que les trois vice-présidents socialistes des commissions précités aient co-signé le texte.
Bref ,grâce à ces travaux, qui se sont étalés sur plusieurs mois, la défense et la promotion de la neutralité du net est devenue une position collective du groupe socialiste et du parti socialiste. C'est un résultat qui justifie à lui seul le travail important que cette PPL a requis.
Et maintenant ?
Je suis convaincu que cette position n'est pas exclusive. Que le gouvernement et l'UMP défendent des des positions similaires, et nous pourrions arriver à un texte voté à l'unanimité. Les manoeuvres dilatoires de l'UMP sur ce sujet n'incitent cependant, hélas, cependant guère à l'optimisme.