À propos de l'avis du Conseil National du Numérique sur la "neutralité du net"
Ça y'est, le «Conseil National du Numérique» 2.0 a rendu son premier avis. Ce très court document (2 pages !) est accompagné d'un rapport lui aussi remarquablement court (15 pages en comptant la couverture...) si on laisse de côté les annexes.
J'ai regretté lors de la mise en place du «Conseil National du Numérique» 2.0 qu'on ait préféré mettre en place une version légèrement remaniée de l'instance mise en place par Nicolas Sarkozy plutôt qu'un «Forum des Droits sur l'Internet» 2.0. Le CNNum continue en effet aujourd'hui de souffrir d'être peuplé de membres nommés par le pouvoir. Si l'essentiel d'entre eux est de grande qualité, la proportion proche de l'actuelle majorité est effarante, sans parler de la dépendance de la Netscouade, la société de son président, envers la commande publique. Dans son discours d'intronisation, Benoît Thieulin indiquait avoir confiance dans la capacité du Conseil à «bousculer» la ministre et le gouvernement... La teneur de l'avis laisse penser que la première partie du discours, riche de remerciements pour tous les politiques ayant contribué à cette nomination, est bien plus fidèle à la réalité.
L'avis du CNNum sur la neutralité du net a en effet un premier défaut. Il est restreint à sa saisine, qui ne portait que sur la liberté d'expression. Peut-être est-ce une qualité. Cela l'aurait sans doute été si l'avis n'avait prétendu porter que sur ce seul sujet. Le sujet de la neutralité du net est cependant également, certains diront surtout, économique. Comme souvent, les deux aspects ne sont pas décorrélés et l'existence d'un écosystème sain est la condition de l'effectivité de liberté toutes théoriques.
Très court, l'avis du CNNum ne s’embarrasse pas de détails. Alors que le débat porte sur des sujets tels que la symétrie des échanges ou le traitement des services que certains appellent «gérés» pendant que d'autres ne les voient que comme des distinctions artificielles du reste de l'Internet, souvent indûment privilégiés, l'avis du CNNum reste à quelques kilomètres au-dessus de la surface du sujet.
Enfin, l'avis du CNNum ne prévoit qu'un principe mou, non-contraignant, une sorte d'objectif assorti d'un «observatoire de la qualité du net». Or, les réseaux continuent à évoluer bien plus vite que la loi, voire même que la vitesse de réaction du régulateur. Et l'ARCEP est pourtant un régulateur actif... Le danger de ne laisser subsister qu'un «Internet résiduel» est réel et sérieux. Le rapport explique ainsi clairement que la neutralité du net ne concerne que l'accès à des contenus légaux, laissant la porte ouverte aux revendications des lobbies de la culture et de la communication et à leur neutralité «dans le respect du droit d'auteur». Pire encore, le rapport est même en retrait sur la position de Neelie Kroes sur la neutralité du net. Si cette dernière souhaite que chacun puisse payer une option pour disposer d'un accès à Internet réellement neutre, le rapport estime uniquement «essentiel que le principe de neutralité garantisse un accès transparent à l’information afin que les usagers puissent choisir en connaissance de cause le réseau et les services qu’ils souhaitent utiliser». Comme le pointe très justement Numerama, le dernier exemple d'atteinte à la neutralité, à la dernière page du rapport, est très parlant : est bien visé ici un défaut d'information sur une atteinte à la neutralité.
Bref, un document qui répond bien à la commande passée par Fleur Pellerin lors du colloque de janvier... On se reportera plutôt à ses annexes pour des pistes de protection de la neutralité du net.