Technologies démocratiques

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The Penguin and the Leviathan, dernier opus de Yochai Benkler

Yochai Benkler est, avec James Boyle, Lawrence Lessig, Richard Stallman ou encore Philippe Aigrain un des grands penseurs contemporains de la «société de l'information». Aujourd'hui en poste à Harvard, il a écrit quelques ouvrages et publications de référence, dont notamment «The Wealth of Networks» ou plus récemment un papier passionnant sur les stratégies d'allocation du spectre hertzien. C'est donc avec une certaine gourmandise que j'ai commandé son dernier ouvrage «The Penguin and the Leviathan». Sous-titré «How Cooperation Triumphs over Self-Interest», cet ouvrage est une lecture que je recommande chaudement à tous les promoteurs des «biens communs informationnels», mais pas uniquement.

Benkler s'y intéresse en effet à la manière dont nous faisons société. Il démontre, études scientifiques à l'appui, que l'être humain n'est pas fondamentalement cet individu égoïste guidé par son seul intérêt personnel, mais est au contraire très sensible à l'établissement de systèmes «fair». Par «fair» n'est pas ici entendu la traduction imparfaite française «juste», mais plutôt de systèmes dont la production et le fonctionnement sont acceptés et appréciés par leurs participants. Dont les participants suivent intuitivement certaines règles de partage, pour peu qu'ils permettent leur respect collectif. Ces systèmes font la part belle au dialogue et à la coopération, pas forcément harmonieuse. Benkler range en effet dans les stratégies coopératives des manières de procéder où tout manquement à la règle implique une réaction brutale.

Les parties les plus passionnantes de cet ouvrage sont probablement celles où le professeur d'Harvard s'interroge sur les régles régissant ces systèmes coopératifs, dont il donne des exemples allant de Toyota à Wikipedia en passant par les portiers new-yorkais. Expliquant, exemples à l'appui, comment les stratégies de rémunération directe des «contributions positives» peuvent être contre-productives (exemple du don du sang rémunéré), tout comme celles de punition des «mauvais comportements» (exemple des amendes pour retard en crèche), il propose dans le dernier chapitre une «boîte à outils» où pourront piocher tous ceux qui souhaitent tenter d'impulser de nouvelles dynamiques.

Dénonçant tant la dictature de la main invisible du marché que les systèmes hyper-hiérarchisés ou une conception passéiste de l'état providence, Benkler nous invite sans naïveté à avoir (ou retrouver) confiance en l'humain et à plus communiquer pour rendre chacun plus autonome et mieux vivre ensemble. Une voie à 180° des spectres nationalistes ou nostalgiques qui tiennent aujourd'hui trop souvent lieu de projet politique. Un grand bol d'air.

Un ouvrage essentiel à l'heure où les réseaux numériques nous apportent des possibilités de communication remettant radicalement en cause la prééminence des «castes savantes» dans de nombreux domaines ainsi que le culte de l'inventeur ou de l'artiste génial. Alors que l'histoire des sciences fait aujourd'hui l'objet de travaux tendant à démontrer que la découverte et l'appropriation de techniques a souvent précédé leur formalisation par une figure passée seule à la postérité (voir notamment l'«Histoire populaire des Sciences» de Clifford D. Conner), il est grand temps de reconnaître toute leur importance à ces dynamiques. Aujourd'hui comme avant-hier, le savoir, l'information, les techniques seront probablement le fruit d'une production collective et interdisciplinaire. Espérons que leur monopolisation par des «clergés» ne sera plus qu'un mauvais souvenir d'une de ces époques de domination par une élite survenant régulièrement dans l'histoire de l'humanité...

En plus de nouvelles technologies démocratiques, le besoin de collectif et d'un nouveau pacte entre mandatés et électeurs

De multiples débats ont eu lieu sur l'apport supposé de l'Internet à la démocratie depuis l'irruption du «réseau des réseaux». Un temps espoir d'un «nouvel agora», l'Internet s'est affirmé socialement comme un objet distinct des formes pré-existentes, dont la simple existence n'est pas nécessairement positive.

Après un temps de désillusion, la maturation de bon nombre d'utilisateurs fait aujourd'hui naître un nouvel espoir. Signe de cette évolution, des auteurs majeurs se sont intéressés à ce thème en France ces dernières années, de Pierre Rosanvallon avec «La contre-démocratie» à Alban Martin et son «Égocratie et Démocratie, la nécessité de nouvelles technologies politiques», en passant par Dominique Cardon et sa «Démocratie Internet», et ont apporté des regards complémentaires. La littérature anglophone sur ce sujet est également riche, un des ouvrages les plus souvent cités en exemple étant le «Government as a platform» de Tim O'Reilly.

Je tente dans ce billet d'exposer ma vision de cette évolution, alimentée par 10 ans de militantisme, dont 7 ans de militantisme politique au sens traditionnel du terme, essentiellement, mais pas uniquement, sur le numérique et la société de l'information. Il m'arrive en effet d'aller tracter, boîter, differ, voire faire un peu de porte à porte... Bref, du «vrai militantisme» pour encore beaucoup de gens.

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L'ouverture des données à l'heure de Regards Citoyens et de Wikileaks

Le net bruisse ce dimanche 28 octobre 2010 de la publication par Wikileaks des «Statelogs», Le site est injoignable à cette heure, probablement submergé par ses lecteurs. On pourra en attendant son retour se plonger dans la lecture de cet article du monde qui relate la démarche de Wikileaks.

Cette publication me met mal à l'aise. Je suis pour une transparence accrue du fonctionnement de nos institutions. Pour autant, je ne pense pas que la transparence absolue soit un objectif valable.

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