Neutralité du net

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OVH + Vidéo Futur + Kartina TV ou merci la neutralité du net

Depuis quelques années maintenant, nous sommes quelques uns à batailler pour «la neutralité du net». Selon ce principe, la règle générale doit être de ne pas différencier les communications en fonction de leur nature ou de leurs interlocuteurs.

J'ai déjà écrit plusieurs billets sur ce thème sur ce blog... Je saisis l'occasion de mon récent déménagement pour illustrer l'intérêt de cette neutralité.

J'ai donc déménagé en juillet et en ai profité pour changer de fournisseur d'accès internet. Abonné depuis quelques années à Free, j'ai décidé de tester l'offre ADSL Pro d'OVH. Pourquoi ?

Je m'étais abonné à Free en 2007-2008, après avoir été de longues années un heureux abonné de Nerim, un fournisseur ADSL devenu très orienté pro et qui s'adressait encore il y a quelques années aux particuliers. Ma motivation pour quitter les eaux tranquilles de Nerim était très simple : je vivais avec celle qui allait devenir ma femme, qui avait un sérieux mal du pays et qui avait très envie de pouvoir regarder la télé de son pays d'origine, la Russie. L'offre de Free n'avait rien de bien génial, mais elle avait le mérite d'exister, et on pouvait avoir accès à quelques chaînes pour 1 euro par mois, dont notamment la première chaîne russe, en plus de l'abonnement de base. Va donc pour Free.

En juin 2013, Free avait bien changé. Ma compagne se plaignait depuis plusieurs mois de ne pas pouvoir regarder confortablement ses vidéos sur YouTube. Perso, je ne suis pas accro, mais le petit jeu auquel Free se livre en refusant "d'augmenter la taille du tuyau" le reliant à YouTube m'irrite et je me refuse à recourir à un proxy pour retrouver un débit normal. J'ai donc commencé à chercher un autre fournisseur d'accès et mon choix s'est arrêté sur OVH, entre autres parce que je trouve le discours de son DG, Octave Klaba, intelligent. Il estime, entre autres, que la mission de sa société est de fournir "un bon réseau" (je raccourcis) dont on fait ce que l'on veut ensuite. OVH fournit, en gros, "un tuyau de données", avec une facilité pour la téléphonie, ce qui évite de devoir acheter un téléphone IP. OVH ne fournit pas de télé sur ADSL ou sur IP et ne propose pas de VOD, et tant mieux. En effet, j'ai ainsi pu acheter les services de mon choix.

Côté VOD, j'ai opté pour la "box" de Vidéo Futur. Pour 10 euros par mois, les contenus accessibles "en illimité", sans surcoût, sont nombreux et d'une qualité satisfaisante. On n'a pas que des vieux nanars et l'offre enfants, et plus particulièrement "tous petits" est bien fournie, pour le plus grand bonheur de mon fils de 2 ans et demi. La VOD classique, non-illimitée, est à 2,99 euros par film, soit moins cher que sur Canal Play, par exemple. On peut pour ce prix également aller louer un DVD ou un Blu-Ray en magasin. Ce qui n'a aucun intérêt pour moi, mais peut-être que pour toi, lecteur... :-)

Côté télé, j'ai recours à la bonne vieille antenne pour les chaînes françaises. La "box" de Vidéo Futur permet, si l'on y branche l'antenne télé, de mettre en pause un visionnage, ce que j'apprécie. Sur mon téléphone portable, j'utilise parfois également Play TV, à l'interface agréable mais à l'offre limitée - j'y reviendrai.

Globalement, je trouve la box de Vidéo Futur très supérieure aux offres de VOD disponibles via la Freebox. CanalPlay, la mieux fournie en contenu, a en effet une ergonomie qui n'est pas sans rappeler le minitel couleur. Au secours.... En prime, la "box" de Vidéo Futur est capable de pré-charger le film. J'ai donc jusqu'à présent toujours pu regarder les programmes de mon choix, sans interruption, sans ces innombrables erreurs que j'avais aux heures de pointe avec le couple Free + CanalPlay.

Côté télés russes, j'ai recours à l'offre de Kartina.tv. Comparer cette offre au bouquet de chaînes russes de Free n'a pas grand sens. Kartina les propose à peu près toutes, ainsi qu'un peu de VOD, là où Free a une offre famélique. Ma compagne peut à nouveau regarder ses émissions préférées. C'est un peu comme si vous n'aviez eu que TV5 (la qualité de la sélection en moins) pendant quelques années puis à nouveau toutes les chaînes françaises accessibles par le câble...

L'offre de Kartina.tv est vraiment attrayante, tant en terme de contenus que d'interface. J'ai déjà parlé des contenus... La box a la meilleure interface que j'ai pu voir jusqu'à présent, mêlant intelligemment les chaînes de télé, les programmes, les applis additionnelles du type facebook ou twitter, voire la navigation web. Sa télécommande a, au verso, un clavier. Chercher un film ou une émission peut se faire selon son nom... Des fonctionnalités de base que l'on aimerait trouver sur une "box" française. On peut également regarder n'importe quel programme du jour (ou de la veille, me semble-t-il) en décalé. En ajoutant une souris, on peut vraiment naviguer et faire ses actions de base en ligne. Bref, c'est le pied.

Où est la neutralité, là-dedans, me direz-vous ? Dans le fait que mon FAI se contente d'être un FAI. Qu'il s'applique à construire un bon réseau, ce pour quoi ses clients, dont mon humble foyer, le payent. Qu'il ne tente pas de tordre le bras d'un éditeur de services (lire ici Google et son service YouTube) pour financer le développement de son réseau, ou plutôt augmenter sa marge. Qu'il n'a pas intérêt à me vendre un service prioritaire, premium, géré ou je ne sais quel autre mot synonyme de priorité ou d'exclusivité pour avoir de la VOD ou de la télé de qualité. Qu'il ne favorise pas ses propres services. Qu'il ne m'impose pas sa boîboîte au look improbable "parce qu'elle fait partie de son réseau".

On notera au passage qu'OVH ne dispose pas de son propre réseau de collecte (les "derniers kilomètres de réseau" qui relient votre domicile au monde) sur tout le territoire français. Sauf erreur de ma part, la collecte de ma ligne ADSL est assurée par le réseau de SFR. La différence se fait bien ici sur le "coeur de réseau".

Vous aurez peut-être également noté que je critique paradoxalement la box de Vidéo Futur dont l'ergonomie, quoi que bien meilleure que celles des autres offres, est encore quelques années derrière celle de la box de Kartina fabriquée par Comigo. Je suis en même temps indulgent, car les pauvres se battent dans un contexte réglementaire extrêmement défavorable aux innovateurs, pour le plus grand bénéfice des rentiers des médias et de la culture. Les russes tombent peut-être dans l'excès inverse, mais le résultat est là : un service de qualité, innovant, alors qu'en France on pleure à l'assemblée nationale sur l'indisponibilité du service public de l'audiovisuel à l'étranger...

Pas de télé sur IP, non plus, dans la box de Vidéo Futur. Cela m'a un peu déçu au début, mais quand on se souvient des batailles livrées par Free au début du Triple play, ou quand on voit dans quelle situation est actuellement Play.tv, je les comprends... Play.tv ne peut par exemple pas rediffuser en ligne TF1 et M6, ni les chaînes du service public qui font pourtant l'objet pour d'autres acteurs d'une obligation de diffusion... On nage en plein délire.

Bref, merci la neutralité, grâce à laquelle j'échappe à l'ORTF 2.0 des offres "triple play"...

Neutralité du net : de multiples enjeux, une réponse multiple

La «neutralité du net» est en débat depuis de nombreuses années maintenant. Même ce modeste blog, dont c'est certes l'un des principaux thèmes, compte 14 billets sur ce thème, dont le plus ancien remonte à 2010.

On peut estimer qu'il a déjà été de nombreuses fois fait le tour de la question. C'est un des "Grands Dossiers" de l'ARCEP. Deux propositions de loi ont été déposées, dont l'une, celle de Christian Paul, à laquelle j'ai contribué, a été inscrite à l'ordre du jour par le groupe socialiste et discutée en séance publique en mars 2012. L'autre est l'oeuvre d'une autre parlementaire fortement impliquée sur ces question, Mme Laure de Laraudière.

On peut donc légitimement se demander à quoi sert de demander un n-ième rapport, qui plus est au Conseil National du Numérique, aux moyens restreints et dont le rôle et l'indépendance posent question, si ce n'est de gagner du temps et d'enterrer le sujet.

La réduction opérée par certains, dont notamment Benjamin Bayart, de la neutralité du net à la seule question de la liberté d'expression me fait cependant réagir. Je tente donc dans les quelques lignes qui suivent de redéfinir ce qu'est la neutralité du net, d'énumérer les principaux types d'atteintes, de lister les principaux enjeux et de proposer les réponses qui me semblent adaptées.

La neutralité du net, qu'est-ce que c'est ?

La neutralité du net est pour moi un principe de respect de chacun des acteurs du réseau par tous. Je parle bien d'acteur au sens large et ne limite donc pas ce principe aux seuls «Fournisseurs d'Accès Internet».

Juridiquement, nous avions proposé avec Christian Paul la définition suivante de ce principe à l'article 1 de sa PPL :

« Le principe de neutralité doit être respecté par toute action ou décision ayant un impact sur l’organisation, la mise à disposition, l’usage d’un réseau ouvert au public. Ce principe s’entend comme l’interdiction de discriminations liées aux contenus, aux émetteurs ou aux destinataires des échanges numériques de données. »

Les articles suivants de cette PPL précisaient notamment des modalités de protection de la neutralité du net concernant plus spécifiquement les FAI.

La neutralité du net, c'est donc la garantie de la liberté, de l'égalité et de l'ouverture sur le réseau, composant essentiel de la société de l'information.

D'autres «couches» importantes doivent être traitées pour garantir ces libertés sur cette dernière : matériel, logiciels, services... S'il est essentiel de les traiter également - un Internet ouvert ne nous sert à rien si tous les utilisateurs voient les logiciels qui permettent de l'utiliser contrôlés par un AppStore» - il me semble important de ne pas mélanger tous les sujets.

En français moins technique, j'aime bien définir la neutralité du net, notamment quand j'ai affaire à des gens s'intéressant de près ou de loin à la politique, comme un volet d'une «laïcité informationnelle», qui permet à chacun d'avoir les pratiques qu'il souhaite dans la sphère privée tant que cela n'impose rien aux autres dans la sphère publique. Comme la laïcité au sens traditionnel, la «laïcité informationnelle» est un principe souple, sujet à interprétation.

Quelles sont les atteintes ?

Ces définitions positives sont peut-être plus intelligibles une fois complétées, en creux, par une liste des types d'atteintes à la «neutralité du net». J'en vois trois grandes.

La plus brutale et la plus facile à constater : le blocage, pur et simple.

À peine plus subtil, le filtrage empêche d'atteindre certains services ou certains contenus.

Plus difficile à constater et donc à empêcher, la discrimination, par exemple en rendant volontairement l'accès à un service plus lent, me semble la menace la plus importante aujourd'hui, du moins comme atteinte à la neutralité du net par un acteur privé. Les deux premiers types d'atteintes sont aujourd'hui l'apanage de la puissance publique.

Tout blocage et tout filtrage ne me semblent pas illégitimes. La neutralité du net n'est, pas plus que les grands principes que l'on défend avec elle, un absolu. L'inefficacité technique de ce type de mesure devraient cependant conduire à ne pas y recourir.

Quels sont les enjeux ?

Ils sont pour moi de trois grands ordres. Démocratique, tout d'abord. L'atteinte à la liberté d'expression ou d'information est évidente lorsqu'un contenu est bloqué. Elle peut être légitime pour les contenus les plus odieux. L'atteinte est également plus réel dans le cas, plus insidieux, de la discrimination. Lorsqu'un texte, un son ou une vidéo est accessible 100 fois plus lentement qu'un autre, pour des raisons ne devant rien à la technique, nous sommes également confrontés à une démarché de réorganisation de l'espace de débat, de réflexion, de pensée.

Économique, ensuite. Le coût d'accès au net est un paramètre important, voire essentiel pour ses acteurs.

De développement, enfin. Que ce soit en terme de développement économique, d'innovation économique, dont notamment celles des «start-ups» et autres jeunes pousses, qui n'existent pour certaines que du fait du faible «ticket d'entrée» ; de développement des territoires, que les grands réseaux s'efforcent traditionnellement, au moins dans leurs objectifs, de ne pas discriminer ; de développement de nouveaux biens communs, enfin, dont l'exemple très souvent avancé est wikipedia.

Qu'est-ce que l'Internet ?

La question peut paraître saugrenue tant «Internet» fait aujourd'hui partie de notre quotidien. Il n'en reste pas moins que «Internet» n'est pas défini en droit. Certaines notions comme celle de «service de communication au public en ligne» existent. Le singulier couramment utilisé pour Internet pose lui-même problème. En pratique, il y a des réseaux et des réseaux de réseaux, dont ce que nous appellons communément «Internet» n'est qu'un exemple. Certains geeks préfèrent d'ailleurs parler «des Internets», ce qui a l'avantage de mieux refléter la pluralité et l'acentrage de ces systèmes.

Ce que nous appelons communément Internet me semble pouvoir être résumé à une capacité générale d'interconnexion. Au fait d'être "relié" à un gros nuage de réseaux.

Ces réseaux appartiennent, pour la plupart, à des acteurs privés. Ils forment ensemble un «bien commun informationnel», qui n'est pas public au sens traditionnel du terme, mais qui n'est pas non plus un bien privé clos, exclusif, au sens traditionnel.

Les observateurs les plus anciens noteront que j'évite délibérément de faire une distinction entre «Internet» et services prétendument «gérés». Tout comme Stéphane Bortzmeyer, j'estime qu'il y a là que des «service privilégiés», dont on ne peut accepter par défaut tous les écarts de neutralité à moins de vider toute protection de la neutralité du réseau de son sens.

Quelle est la légitimé de la puissance publique à réguler des biens privés ?

Elle est pour moi la même que pour quantités d'autres infrastructures. Un centre commercial, même s'il appartient presque toujours à une société privée, n'est pas une zone de non-droit. Il n'est pas la voie publique, mais les lois de la République s'y appliquent. De même pour une gare, un aéroport, etc. Le caractère d'infrastructure essentiel de «l'Internet» légitime à lui seul cette intervention.

Comment agir ?

Tout ceci étant dit, comment agir ? Je continue de penser que la PPL Paul est la meilleure base. Elle fait de la neutralité du net le principe et permet d'autoriser certaines exceptions dûment justifiées.

Je la compléterais par les éléments suivants.

Tout d'abord, une loi protégeant de manière générale la liberté d'expression, puisque certains, comme Benjamin Bayart, estiment que cela est nécessaire. Cette loi ne devrait, comme toute bonne loi, pas être techno-centrée ni restreinte au monde numérique.

Ensuite, en protégeant les conditions d'interconnexion. La PPL Paul avait déjà envoyé un signal, qu'avait bien perçu l'ARCEP, en demandant aux acteurs du réseau des informations sur les conditions d'interconnexion. Une loi devrait faire de la fourniture de ces informations au régulateur une obligation légale et de la fourniture d'une interconnexion «de bonne qualité» la règle.

Afin d'éviter d'imposer une obligation trop forte à tous les acteurs et surtout d'imposer des obligations inadéquates à tous les types de réseaux de communications électroniques ouverts au public (et qui ne sont pas tous Internet), je pense qu'il ne faudrait imposer des obligations en matières d'interconnexions qu'aux seuls opérateurs dominants.

Le régulateur sait identifier ces derniers. La «bonne qualité» est une notion évidemment relative. Une interco peut être de mauvaise qualité pour de bonnes raisons. Ne devrait être répréhensible que la dégradation volontaire de la qualité de l'interconnexion, pour un motif manifestement non technique.

On permet ici de protéger «l'Internet de M. tout le monde» et d'adresser des problèmes tels que le ralentissement de YouTube que subissent les abonnés de Free. On permet cependant en même temps aux nouveaux acteurs de se développer sans subir les mêmes obligations, ainsi que le déploiement d'autres réseaux interconnectés en «réseau de réseaux» distincts.

Enfin, il faut organiser le déploiement rapide de la fibre sur tout le territoire. Le THD fixe est la réponse au risque d'encombrement souvent avancé, jamais constaté, par les fournisseurs d'accès. Le gouvernement est en train de préciser son plan... Attendons qu'il soit précisé pour le critiquer...

À propos de l'avis du Conseil National du Numérique sur la "neutralité du net"

Ça y'est, le «Conseil National du Numérique» 2.0 a rendu son premier avis. Ce très court document (2 pages !) est accompagné d'un rapport lui aussi remarquablement court (15 pages en comptant la couverture...) si on laisse de côté les annexes.

J'ai regretté lors de la mise en place du «Conseil National du Numérique» 2.0 qu'on ait préféré mettre en place une version légèrement remaniée de l'instance mise en place par Nicolas Sarkozy plutôt qu'un «Forum des Droits sur l'Internet» 2.0. Le CNNum continue en effet aujourd'hui de souffrir d'être peuplé de membres nommés par le pouvoir. Si l'essentiel d'entre eux est de grande qualité, la proportion proche de l'actuelle majorité est effarante, sans parler de la dépendance de la Netscouade, la société de son président, envers la commande publique. Dans son discours d'intronisation, Benoît Thieulin indiquait avoir confiance dans la capacité du Conseil à «bousculer» la ministre et le gouvernement... La teneur de l'avis laisse penser que la première partie du discours, riche de remerciements pour tous les politiques ayant contribué à cette nomination, est bien plus fidèle à la réalité.

L'avis du CNNum sur la neutralité du net a en effet un premier défaut. Il est restreint à sa saisine, qui ne portait que sur la liberté d'expression. Peut-être est-ce une qualité. Cela l'aurait sans doute été si l'avis n'avait prétendu porter que sur ce seul sujet. Le sujet de la neutralité du net est cependant également, certains diront surtout, économique. Comme souvent, les deux aspects ne sont pas décorrélés et l'existence d'un écosystème sain est la condition de l'effectivité de liberté toutes théoriques.

Très court, l'avis du CNNum ne s’embarrasse pas de détails. Alors que le débat porte sur des sujets tels que la symétrie des échanges ou le traitement des services que certains appellent «gérés» pendant que d'autres ne les voient que comme des distinctions artificielles du reste de l'Internet, souvent indûment privilégiés, l'avis du CNNum reste à quelques kilomètres au-dessus de la surface du sujet.

Enfin, l'avis du CNNum ne prévoit qu'un principe mou, non-contraignant, une sorte d'objectif assorti d'un «observatoire de la qualité du net». Or, les réseaux continuent à évoluer bien plus vite que la loi, voire même que la vitesse de réaction du régulateur. Et l'ARCEP est pourtant un régulateur actif... Le danger de ne laisser subsister qu'un «Internet résiduel» est réel et sérieux. Le rapport explique ainsi clairement que la neutralité du net ne concerne que l'accès à des contenus légaux, laissant la porte ouverte aux revendications des lobbies de la culture et de la communication et à leur neutralité «dans le respect du droit d'auteur». Pire encore, le rapport est même en retrait sur la position de Neelie Kroes sur la neutralité du net. Si cette dernière souhaite que chacun puisse payer une option pour disposer d'un accès à Internet réellement neutre, le rapport estime uniquement «essentiel que le principe de neutralité garantisse un accès transparent à l’information afin que les usagers puissent choisir en connaissance de cause le réseau et les services qu’ils souhaitent utiliser». Comme le pointe très justement Numerama, le dernier exemple d'atteinte à la neutralité, à la dernière page du rapport, est très parlant : est bien visé ici un défaut d'information sur une atteinte à la neutralité.

Bref, un document qui répond bien à la commande passée par Fleur Pellerin lors du colloque de janvier... On se reportera plutôt à ses annexes pour des pistes de protection de la neutralité du net.

De retour de la table ronde sur la neutralité du net

« @lpenet @pcinpact Si j'ai bien compris, cette "table ronde" n'a servi strictement à rien, si ce n'est jouer la montre ? #netneut »

Cette question de @PierreCol sur twitter m'a incité à préparer une réponse un peu plus développée.

Contextualisons un peu. Pierre Col n'est pas n'importe qui. C'est un de ces vétérans du net français que l'on classe amicalement dans la catégorie des «dinos», de ceux qui connaissent et font le net depuis longtemps, bien plus longtemps que son adoption par le grand public. Pierre Col était d'ailleurs l'un des experts consultés par l'ARCEP lors de son grand colloque sur la neutralité du net du... 13 avril 2010. Si lui me pose cette question, cela vaut la peine que je prenne une heure de mon temps pour tenter de répondre posément.

Commençons par du positif. La ministre déléguée en charge du numérique (je raccourcis l'intitulé afin que vous ne décrochiez pas) décide de prendre à bras le corps le sujet de la neutralité du net. L'annonce par les membres de son cabinet est aguicheuse. On va «enfin» réunir tout le monde, «vraiment» parler et «enfin» passer à l'action. Belle promesse !

Là où le bât blesse, c'est que l'attitude de Fleur Pellerin ce mardi matin n'a pas été à la hauteur. Elle n'a, quelque part, eu que le tort de perpétuer les pratiques de ses prédécesseurs, de droite comme de gauche : organiser un machin où on invite tout le monde, venir à la fin pour conclure et recueillir les quelques applaudissements que l'on réserve toujours au Ministre, par politesse et aussi parce que la France reste le pays de Louis XIV où les réflexes de Cour et de culte du Chef sont prégnants. Mais les temps ont cependant malgré tout un peu changé. Une conférence twittée est un exercice très délicat pour un politique. On est bien plus facilement ironique que constructif en 140 caractères. Quand, en prime, la promesse initiale n'est pas tenue, cela ne peut que très très mal tourner.

Là où le bât blesse également, c'est que notre ministre déléguée s'est exprimée pendant la campagne présidentielle sur ce sujet, et sur d'autre sujets liés, comme l'export d'armes numériques inlassablement relancé par l'ami @bluetouff et ses collègues de reflets.info. Là où il blesse encore, c'est que le vernis communicationnel craque vite. Le ton du changement ne saurait suffire. Comme le dit très justement Guillaume Champeau, tout cela a un côté terriblement années 90 et ce n'est juste plus possible. Une communication plus sobre, l'affichage d'une ambition plus modeste aurait peut-être entraîné d'autres réactions.

Autre point positif : le contenu de cette demi-journée était très bon. La première partie, plus politique, rassemblait des intervenants de haut niveau, qui se sont tous efforcés d'apporter au débat sans tomber dans les guéguerres partisanes. La seconde partie doit beaucoup aux interventions du GESTE, de l'ASIC et surtout d'Octave Klaba. Benjamin Bayart était très bien, comme souvent, mais l'apport d'Octave en tant que DG d'un des premiers hébergeurs mondial m'a semblé décisif. On n'a jamais, à ma connaissance, aussi bien parlé de peering et de transit dans une réunion grand public que pendant cette seconde table ronde. Cette table ronde aura également été l'occasion d'un joli démontage de l'argumentation sur l'asymétrie des échanges. J'ai moi aussi écrit sur ce blog il y a déjà bien longtemps et plus récemment que l'important n'est pas dans les volumes échangés, mais dans la valeur échangée. Mais quel plaisir de l'entendre brillamment exposé, ainsi que la perversion de la dénonciation de cette asymétrie alors que l'accès internet grand public français a été conçu pour être asymétrique. Rappelons-le : ce n'était pas une contrainte technique, mais un choix, et Octave Klaba a jeté un joli pavé dans la mare en rappelant que l'ARCEP bloque le déploiement de technologies grands publics plus symétriques «pour ne pas perturber le marché». Cerise sur le gâteau : Pascal Rogard et les adeptes de la neutralité «dans le respect du droit d'auteur» n'étaient pas là. Ouf.

Il est d'autant plus malheureux que la ministre, qui convoque cette réunion en promettant d'écouter tout le monde, ne se libère que vers 11h, pour interrompre la seconde table ronde par son intervention, en commençant par expliquer qu'elle était retenue ailleurs par des choses importantes et s'excusait de devoir s'en aller avant la fin du fait d'autres obligations. Quelle incroyable maladresse, dont Fleur Pellerin est hélas coutumière, et que son cabinet ne l'aide manifestement pas à éviter. Au vu du désastre communicationnel, Fleur Pellerin a «miraculeusement» réussi à se libérer pour rester plus longtemps que prévu. Tiens, c'était donc possible...

Seconde maladresse, continuer son intervention par un «j'ai bien écouté les interventions» (erf) «il me semble qu'il y a en fait un consensus» (re-erf). La ligne de partage entre les telcos, représentés par la FFT, et les autres acteurs était pourtant manifeste. Non, il n'y a pas consensus. Ceux qui portent le plus visiblement atteinte à la neutralité du réseau ne veulent pas d'un encadrement de leurs pratiques. C'est clair, net. C'est un conflit avéré depuis plusieurs années. Il revient maintenant au politique de prendre ses responsabilités et de trancher. À nouveau, madame la Ministre n'est ici qu'une «vraie hollandaise» (pas une batave, une compagne de route de notre président) en prétendant ne voir qu'accord et consensus là où il faudrait avoir le courage de trancher et d'agir.

Troisième maladresse, annoncer demander au Conseil National du Numérique en cours de nomination son avis sur la pertinence d'une législation en la matière. Lorsque les parlementaires de tous bords présents, qui bossent ce dossier précis depuis au moins trois ans, et la quasi-totalité des acteurs sauf ceux qui sont le plus pointés du doigt estiment urgent de le faire, il est assez hallucinant de prétendre reprendre le dossier à zéro. Je me demande d'ailleurs s'il faut parler de maladresse ou d'arrogance propre à certains grands corps... Il est encore plus maladroit de prétendre demander un avis à un conseil dont les membres sont nommés par le gouvernement en toute opacité, et où on ne retrouve pour l'instant que des personnalités «d'une certaine couleur». S'ils sont pour la plupart brillants et si je tiens certains d'entre eux en très haute estime, ce n'est pas nous tenir, nous, les citoyens, en très haute estime que de tenter de nous faire croire que des personnes aussi proches du pouvoir et ainsi nommées vont se prononcer en toute indépendance. Je ne peux que regretter à nouveau au passage que le gouvernement n'ait pas préféré opter pour un «Forum des Droits sur l'Internet» 2.0 revu et amélioré, contrôlé par ses adhérents, à un relooking express du machin sarkoziste qui prétend lui succéder.

Quatrième maladresse : aucun représentant des internautes n'était à la seconde table ronde. On pourra arguer que Benjamin Bayart sait porter leur parole. Il n'était cependant là qu'à titre de FAI associatif. Pourquoi diable l'UFC que choisir n'était-elle pas présente ? Ou la CLCV, Reporters Sans Frontières, etc.

Cinquième maladresse : un long laïus dissociant laborieusement libertés fondamentales et enjeux économiques, combinant annonce de la saisine de ses collègues de l'intérieur et de la justice sur le volet «liberté d'expression» et reprenant bien des arguments de partisans d'atteintes à la neutralité du réseau «pour faire participer les éditeurs de services à la construction du réseau». Rappelons rapidement que les éditeurs de service construisent déjà leur part et que le métier des FAI (et c'est un métier bien rentable) est de construire et raccorder les derniers kilomètres. L'essentiel est ailleurs. J'ai eu la nette impression que l'on nous donnait à ronger un os de «libertés théoriques» qui serait rendues inopérantes par les atteintes à la neutralité esquissées au nom de l'économie. Peut-être faut-il voir ici la patte de son directeur de cabinet Sébastien Soriano. Sébastien, passé par l'ARCEP et l'Autorité de la Concurrence avant de devenir directeur de cabinet de Fleur Pellerin m'a laissé depuis longtemps l'impression de croire en la perfection du marché et en la puissance de sa main invisible. Ne lisez pas ici une attaque, Sébastien est un homme de qualité, mais son approche est à mon goût bien trop techno-économisante.

Sixième maladresse : alors que Fleur Pellerin évoque la «polémique twitter» dans son discours, vaguement apparentée au thème de la neutralité du net, elle esquive une question sur le DPI en arguant que la technologie est neutre, mais que seuls certains de ses usages sont répréhensibles. Dans l'absolu, ce discours est juste. Dans un contexte de vente d'armes numériques à la Libye et à d'autres pays ne brillant pas particulièrement par leur démocratie, cela évoque malheureusement le discours de Nikita Kroutchev sur la subjectivité de l'emploi des armes et le caractère «défensif» des missiles nucléaires déployés par l'Union Soviétique à Cuba. Non, on ne peut pas plus se laver les mains de l'export d'armes numériques à une dictature que de la vente de chars Leclerc ou d'avions Rafale...

Bref, du positif, indéniablement, de la part des intervenants, à défaut de nouveauté, si ce n'est la clarté et la force du message sur l'asymétrie et le peering. Mais une manière de gouverner et de communiquer datée, qui ne dénote aucun changement de pratique, et qui n'annonce aucune amélioration.

Soyons optimistes : le meilleure reste possible. Et, après une nouvelle déception, nous ne faisons qu'augmenter nos chances d'être agréablement surpris...

À propos de la neutralité du net, version 2013

La «neutralité du net» est revenue la semaine dernière sur le devant de la scène. Loin d'être confidentiel, ce sujet a déjà fait l'objet de nombreux débats et tables rondes ces quatre dernières années, sans même évoquer l'attention portée par les grands penseurs de notre époque, comme Lawrence Lessig, depuis bien plus de dix ans. Étudiée par l'autorité de régulation des communications électroniques et postales (l'ARCEP), la «neutralité» a également fait l'objet de rapports parlementaires, en France et à l'étranger, et de deux propositions de loi, dont l'une, celle de Christian Paul, a été inscrite à l'ordre du jour par le groupe socialiste et discutée en séance publique en mars dernier.

Le sujet est donc incontestablement déjà largement défriché. On peut donc se demander en quoi une n-ième table ronde est utile, fut-elle organisée par la Ministre en charge de l'Économie Numérique... Une régulation sur ce sujet étant, à mon avis, souhaitable, il convient, je pense, de se réjouir de cette irruption dans le débat grand public et de l'intérêt du gouvernement. On redécouvre certes l'eau chaude au passage, mais c'est le cas pour presque tous les grands combats politiques : cela prend du temps, et il faut réexpliquer, encore et toujours, pendant de longues années...

Plusieurs personnes étant revenues vers moi à ce sujet, j'ai trouvé opportun de produire ce billet, en espérant qu'il vous sera utile.

Plusieurs questions me semblent se poser :

  • Qu'est-ce que la «neutralité du net» ?
  • Quels sont les enjeux ?
  • Quelles sont les intérêts en présence ?
  • Que peut-il se passer ?
  • Que faudrait-il faire ?

Qu'est-ce que la neutralité du net ?

La neutralité du net est, au sens strict, un principe de non-discrimination des communications électroniques pour des raisons autres qu'un réel impératif technique. La PPL examinée à l'hiver 2011 le définissait comme «l’interdiction de discriminations liées aux contenus, aux émetteurs ou aux destinataires des échanges numériques de données.»

Ce principe interdit, par exemple, à un FAI de favoriser les communications vers YouTube plutôt que DailyMotion. Il interdit également de favoriser artificiellement les échanges dans un protocole plutôt qu'un autre. Dans cet esprit, toutes les solutions de téléphonie sur internet doivent être traitées équitablement. Celle d'un fournisseur donné, par exemple Microsoft, ne doit pas être indûment favorisée.

Il est donc question ici de blocage, de filtrage et de bridage de communications, parfois suite à l'analyse en profondeur (DPI, «Deep Packet Inspection») de trafic. Le blocage est l'interruption complète de tout ou partie d'une communication. Les protocololes d'échange «de pair à pair» (P2P) sont ainsi encore souvent bloqués par les offres d'«accès internet mobile», ce qui est une atteinte évidente à la neutralité du net. Filtrer certains contenus peut également être une atteinte à la neutralité, lorsque ce filtrage est imposé par le réseau et non sous le contrôle des deux interlocuteurs de la communication électronique. Le cas du récent filtrage par Free des publicités est à cet égard ambiguë. S'il est bien appliqué par défaut, il reste cependant optionnel et peut être désactivé. S'il pose certains problèmes, la possibilité de le désactiver laisse à l'abonné la possibilité d'avoir un accès internet «neutre». Enfin, le bridage d'une communication peut constituer une atteinte à la neutralité du net. Un intermédiaire technique peut choisir de limiter le volume ou la vitesse des communications entre certains interlocuteurs. La vitesse de communication à YouTube, par exemple, peut être artificiellement limitée.

Quels sont les enjeux ?

Les enjeux les plus apparents sont économiques. Les réseaux de communications électroniques et tous ceux qui les utilisent ne fonctionnent, tout d'abord, hélas pas avec de l'amour et de l'eau fraîche. La question du financement de leur développement est posée de manière récurrente. Leur écosystème est complexe et comprend une grande diversités d'acteurs, de l'éditeur de services tel que Google au petit fournisseur d'accès local en passant par les grands opérateurs de transit, les sociétés proposant des services permettant de «rapprocher» les contenus de leurs «clients» («Content Delivery Network»).

L'enjeu est également de liberté d'expression et, au-delà, d'architecture de l'espace public. Les réseaux électroniques ne sont plus depuis longtemps le terrain de jeu des traders, de sociétés globalisées organisant leur production et leur logistiques sur de grandes distances et d'informaticiens. Elles font partie intégrante de la réalité des moins de 40 ans, de la réalité de «la petite poucette» de Michel Serres. Comme l'a très bien énoncé Lawrence Lessig, «Code is law» et l'architecture technologique conditionne autant nos échanges que l'urbanisme de nos villes contraint nos déplacements. Les cas les plus extrêmes d'atteinte à la neutralité du net relèvent de la censure, comme c'est le cas en Syrie ou en Chine. De manière plus subtile, n'autoriser que certains comportements, rendant les interlocuteurs plus passifs ou compliquant l'accès à certains services façonne notre environnement. Que l'accès à wikipedia soit par exemple rendu plus lent que celui à une autre encyclopédie, dont le contenu serait validé par l'Université en accord avec la puissance publique, ou à une copie de son contenu farci de publicité serait une atteinte caractérisée à la neutralité du net. Le fait que le moteur de recherche d'Orange renvoie sur une telle copie plutot que sur wikipedia est un exemple concret d'une telle atteinte.

Quels sont les intérêts en présence ?

Il y a, dans le désordre, tout d'abord les éditeurs de service. Google, DailyMotion, Amazon, Apple, etc. proposent des services en ligne à l'aide de lourdes infrastructures, comprenant à la fois de très nombreux ordinateurs et de bonnes capacités de connexion. On l'oublie trop souvent dans des discussions de comptoir sur l'internet, mais il y a deux côtés à un tuyau, et les éditeurs de service payent ou opèrent eux-même des réseaux de communication leur permettant d'atteindre leurs usagers.

Il y a, ensuite, les fournisseurs d'accès à internet. Ils sont le dernier maillon de la chaîne des intermédiaires techniques reliant l'internaute chez lui dans son salon au service auquel il souhaite se connecter. Ou qui permettent aux plus pointus de leurs abonnés de proposer leurs propres services. Leur métier est de construire des réseaux, notamment les «derniers kilomètres» reliant monsieur tout le monde à Internet, et d'en monnayer l'accès. Jusqu'à aujourd'hui, les FAI ont tiré l'essentiel de leurs revenus de la vente d'abonnements. Leur rentabilité à deux chiffres incite à minorer leurs plaintes sur la croissance du trafic. Entend-on Vinci se plaindre de l'accroissement du trafic routier ? Certe, les FAI français subissent une pression particulière du fait de l'omniprésence du tout-illimité dans les offres aux particuliers. Ils ont su cependant trouver des modalités d'augmentation de leur tarif. Free, par exemple, a su augmenter le coût de son abonnement à l'Internet sous prétexte d'une nouvelle «box» supposée apporter une meilleure expérience.

Entre ces deux extrêmités existent bien d'autres intermédiaires techniques. Les transitaires, sortes de super-FAI, opèrent des réseaux à échelle mondiale. Leurs modalités tarifaires sont presque toujours fondées sur les volumes réellement échangés. Les «Content Delivery Network», comme Akamaï, ont pour métier de «rapprocher» les contenus de ceux qui les consultent, à l'aide d'une infrastructure technique complexe. Sur le net, les communications ne sont en effet pas instantanées. Afin de raccourir la vitesse d'accès et de chargement à «une page», il est souhaitable que le serveur proposant le contenu désiré par un utlisateur soit «le plus proche possible» de ce dernier.

En plus de ces acteurs presque tous apparus avec l'Internet - ils n'existaient pas ou si peu il y a 15 ans, on comptera également trois grands groupes d'intérêts : les ayants droits, d'oeuvres de tous types (audiovisuel, cinéma, musique, presse, etc.) ; les États et leur tendance à vouloir contrôler les échanges, notamment à des fins de sécurité publique ; les citoyens-consommateurs, dont les intérêts très fragmentés divergent souvent de ceux des États.

Que peut-il se passer ?

Sur l'internet filaire (par ADSL, câble, ou fibre), la neutralité est peu ou prou la règle aujourd'hui. Il existe certes quelques atteintes manifestes, comme le filtrage du port 25 (de courrier électronique) chez certains prestataires ou la limitation du trafic descendant (vers l'abonné) chez certains FAI, mais monsieur-tout-le-monde peut globalement faire ce qu'il veut et le geek peut trouver chaussure à son pied.

La situation sur le mobile est différente. Sous prétexte de rareté, les opérateurs multiplient les atteintes à la neutralité, empêchant l'utilisation de téléphonie par internet sous de fallacieux prétextes techniques (en fait, pour imposer l'utilisation de leurs propres services vocaux), interdisant le P2P, etc. On notera que cette prétendue rareté disparaît lorsqu'un opérateur offre un accès illimité à ses propres services. Les ondes électromagnétiques ont dû faire une école de commerce...

Ce réseau globalement ouvert connaît une triple pression :

  • des FAI, qui cherchent à accroître leurs marges en trouvant d'autres sources de revenus pour financer leurs investissements ;
  • des ayants droits qui estiment que la faculté donnée à chacun d'accéder et de proposer librement des contenus est fondamentalement mauvaise et doit être entravée ;
  • de la puissance publique qui a du mal à s’accommoder de la difficulté à encadrer des échanges acentrés.

Aux États-Unis, la liberté des acteurs économiques semble toujours être la première priorité. Et celle de ces acteurs économiques de proposer de «nouveaux services» essentielle. Ce pays comptent cependant des acteurs puissants dans tous les groupes d'intérêts énumérés et le débat est donc globalement plus équilibré.

La France ne compte, elle, pas ou peu de géants du numérique. Elle ne compte, par nécessité, que des opérateurs de télécommunication et quelques ayants droits. Dans un contexte «d'engagement total» pour l'emploi et alors que le gouvernement Ayrault peine à démontrer une meilleure expertise numérique que ses prédecesseurs, on peut donc craindre le traitement de ce dossier de ce civilisation sous le seul angle économique. Pire encore, on peut craindre une vision réductrice de défense à court terme de nos «champions nationaux» (lire, les FAI et quelques ayants droits) contre «l'Étranger». La qualification par Fleur Pellerin de la neutralité du net comme un « concept américain qui a tendance à favoriser les intérêts économiques de Google, Apple et consorts » n'incite guère à l'optimisme. De plus, les services du ministère de l'industrie n'ont guère brillé par leur capacité à soutenir le développement de l'économie numérique depuis 30 ans (les faits sont cruels...) et la culture colbertiste du contrôle par l'État et des champions nationaux reste la règle.

On peut donc craindre à court terme, d'une part, que la puissance publique pèse de tout son poids pour forcer les éditeurs de service à contribuer plus directement au financement des réseaux des fournisseurs d'accès internet. Les éditeurs étrangers pourraient être tentés à leur tour de limiter, voire de bloquer l'accès à leurs services en France. Le créateur d'un nouveau service est, lui, un peu plus incité à aller créer ailleurs. Il est intéressant de noter au passage que si Free s'attaque à la régie publicitaire de Google avec son filtrage optionnel intégré dans sa box, il ne se risque cependant pas à entraver l'accès au moteur de recherche de Google, élément clé de l'expérience en ligne de la plupart de ses abonnés.

On peut craindre, d'autre part, une tentative de taxation des flux entrant et sortant du territoire. Une telle opération ne conduirait qu'à délocaliser encore plus d'interconnexions à l'étranger. On peut craindre, enfin, que l'État ne souhaite introduire une taxation différenciée en fonction de la nature des échanges. Sous prétexte de financement des réseaux, une tarification en fonction de la nature des contenus échangés pourrait être introduite, différenciant par exemple la vidéo du texte, ouvrant au passage la voie à des taxes spécifiques pour la presse et au blocage de l'échange des «contenus protégés» revendiqués de longue date par les ayants droits.

Que faudrait-il faire ?

Il nous faut, tout d'abord, impérativement ne pas laisser le traitement de cette question dans les mains des économistes. Le net n'est ni un centre commercial, ni une place de marché. Il est aujourd'hui pour des millions d'entre nous un lieu de vie et doit être appréhendé comme tel. À ce titre, laisser le traitement de cette question au seul ministère de l'économie numérique et à Bercy serait très dangereux. Vu l'ancienneté du débat et vu la qualité du travail déjà effectué, une initiative parlementaire serait ici souhaitable.

Les enjeux de société dépassent, d'autre part, de loin la question de la seule neutralité du net. Il nous faut donc traiter cette dernière sans pour autant en faire un absolu, une norme indépassable qui s'imposerait à toutes les autres. On remarquera au passage certains clivages entre partisans de la neutralité du net. Si certains sont des défenseurs du «free speech» à l'américaine, autorisant toutes les expressions, d'autres se situent plutôt dans la tradition française qui choisit collectivement d'interdire les expressions les plus condamnables (incitation à la haine raciale, etc.).

Il nous faut, enfin, protéger de manière très générale ce principe de neutralité du net, en en faisant la première pierre d'un corpus de droits positifs de protection de l'ouverture de la société de l'information. Ce principe devrait donc être ouvert, et concerner tous les intermédiaires techniques et non les seuls FAI. Son respect devrait être contrôlé par une autorité de régulation renforcée, ayant notamment la faculté d'autoriser «a priori» les services dérogeant à la neutralité, les fameux «services gérés». Il sera ensuite temps, dans d'autres textes, de traiter de l'ouvertures d'autres composants essentiels de la société de l'information, par la loi, mais aussi et surtout par le développement d'offres respectueuses de nos libertés. Beaucoup de travail reste à accomplir. À quoi nous sert, par exemple, un internet neutre si tout le monde s'y connecte à l'aide d'un iMachin dont le choix d'applications est étroitement contrôlé par une firme américaine puritaine ?

De manière évidente, il nous faut, par ailleurs, porter ce débat au niveau européen et au-delà... L'Union Européenne n'est toujours pas, aujourd'hui, le «lieu» de ce type de débat démocratique. On peut cependant probablement espérer mieux du Parlement européen que d'un parlement national dont les godillots se comptent sur tous les bancs.

À propos de la proposition de loi de Laure de Laraudière sur la neutralité du net

Laure de Laraudière, vient de déposer une proposition de projet de loi concernant la neutralité du net.

La députée d'Eure-et-Loir n'est pas une novice de ce sujet. Elle a, pour mémoire, déjà déposé :

Mme de Laraudière avait également déposé un amendement au projet de loi autorisant la transposition par ordonnance du dernier «paquet telecom».

Cette PPL se situe quelque par entre ces deux rapports. Le premier rapport estimait en effet, pour aller très vite, que l'on préserverait la neutralité par la stimulation de la concurrence et l'accroissement de la concurrence et tentait de donner au régulateur les moyens de protéger un «internet de qualité suffisante». Le second remarquait que des atteintes à la neutralité se produisent déjà, que la concurrence ne suffit pas et pointait les législations préventives mise en place par certains de nos partenaires européens, comme les Pays-Bas.

Ce nouveau texte reprend cette notion d'Internet de qualité suffisante, en donnant au régulateur la mission de la définir et de la contrôler. Cette notion pose toujours les mêmes problèmes. Elle est indéfinie et l'on peut être craintif quant à sa définition... Ce d'autant plus que la définition de la neutralité du net proposée par cette PPL est doublement problématique :

  • Elle n'est définie qu'en terme d'envoi et de réception de contenu et de seule *utilisation* de services. Or, un des apports essentiels de l'Internet est de rebattre les rôles et de faire de chaque personne qui y est connecté un éditeur de service en puissance.
  • Réductrice, elle ne vise que les seuls FAI. Or, la neutralité du net est plus large. Elle vise, de manière générale, à ce que chacun des intermédiaires présents sur le net n'abuse pas de sa position (comme l'explique très bien Stéphane Bortzmeyer).

Se pose en effet toujours en creux la question des «services gérés», habilement éludée par Laure de Laraudière. S'il est important de dénoncer cette terminologie trompeuse, qui tend à faire croire que l'Internet ne serait pas déjà géré, il n'en reste pas moins que la tentation est forte chez les opérateurs pour exclure bon nombre de nouveaux usages de «l'Internet» et d'en faire des «services gérés», notamment pour ce qui concerne la vidéo. S'il est bien parfois nécessaire de favoriser techniquement certaines applications, comme cela a été historiquement le cas pour la télévision sur ADSL, ces cas devraient être autorisés a priori par le régulateur et dûment encadrés pour que l'accès à ces services spéciaux soit raisonnable et non discriminatoire, tant pour leurs éditeurs que pour leurs utilisateurs.

La PPL déposée par Christian Paul évitait cet écueil en définissant ainsi la neutralité du net :

Le principe de neutralité doit être respecté par toute action ou décision ayant un impact sur l’organisation, la mise à disposition, l’usage d’un réseau ouvert au public. Ce principe s’entend comme l’interdiction de discriminations liées aux contenus, aux émetteurs ou aux destinataires des échanges numériques de données.

Point besoin de définir une qualité suffisante ou d'un quelconque comité théodule. La neutralité doit être la règle pour tous les réseaux ouverts au public, point barre.

Voyant bien que la transparence et la concurrence ne suffisent pas, cette PPL donne cependant une capacité au régulateur d'intervenir s'il n'existe plus d'offre d'accès à un Internet neutre. L'efficacité d'un tel dispositif mérite d'être questionnée. Comme les spécialistes du secteur le savent bien «Code is Law» et si le réseau ne permet techniquement plus certains pratiques, elles disparaîtront. Rétablir leur possibilité des mois plus tard ne changera rien.

La majeure partie de cette PPL est, curieusement, consacrée à la mise en place d'une procédure unifiée de blocage qui aurait la vertu faire de systématiquement faire intervenir "le juge". Si cela est toujours meilleur qu'un blocage administratif, cela revient tout de même au passage à légitimer cette manière de faire... Or, nous avons à de multiples reprises dénoncé l'inefficacité du blocage. Le retrait à la source et la rupture de leurs circuits financiers sont aujourd'hui les deux seules manières efficaces de lutter contre les fournisseurs de contenus et de services illicites.

On pourra regretter, au passage, que ce texte n'aborde pas la question de l'interconnexion (peering ou transit), ce alors que l'ARCEP tente d'obtenir des FAI les informations qui lui permettraient d'y voir un peu plus clair.

On pourra également regretter que la députée d'Eure-et-Loir ne dépose ce texte qu'une fois passée dans l'opposition... Enfin, on se demandera si le groupe UMP à l'Assemblée nationale trouvera utile d'inscrire cette PPL dans une de ses «niches».

Neutralité, services gérés et... Fleur Pellerin

La neutralité du net est à nouveau en discussion aujourd'hui, notamment du fait de déclarations de la Ministre Déléguée en charge du dossier, Fleur Pellerin. Tant mieux.

Après une de ces déclarations calamiteuses dont elle est, hélas, coutumière, que Fabrice Epelboin a bien analysée dans ce billet, notre ministre a tenté de corriger le tir au «Club Parlementaire du Numérique» (machin dont l'objet est de faire se rencontrer des Parlementaires avec des lobbyistes du numérique dans un cadre convivial).

On pourra retrouver une sélection de gazouillis à propos de cette réunion avec le hash code #cpn.

En résumé :

  • ni blocage, ni filtrage "de l'expression et de l'innovation" (twit);
  • Mme la Ministre veut que les acteurs du contenu payent les FAI pour l'usage de leurs réseaux. Elle veut également des services gérés, encadrés ( lire ce twit et ce twit ).

Les trois twits mis ici en avant sont :

  • pour le premier, écrit par Romain Pigenel, ancien de l'équipe de campagne de François Hollande, pas précisément connu pour son opposition frontale

au gouvernement actuel ;

  • pour le second, écrit par Benoît Tabaka, ancien secrétaire général du CNNum, aujourd'hui à Google ;
  • pour le troisième, plutôt positif , écrit par Samuel Authueil, collaborateur d'un député de l'opposition.

Commençons par le positif. Afficher un rejet du blocage et du filtrage est clairement une avancée. Malheureusement tempérée (les mots ont un sens) par la réduction au champ de «l'expression et de l'innovation».

Pourquoi cette réduction est-elle importante ? Différents «droits» sont à prendre en compte lors de la prise d'une décision de blocage ou de filtrage et, au-delà, du façonnement du cadre législatif.

Prenons-en deux, pour illustrer : la liberté d'expression et le droit d'auteur. De longue date, les partisans d'une coupure de l'accès internet au nom du droit d'auteur clament être également des protecteurs de la liberté d'expression. On peut être en désaccord avec leur affirmation (je le suis), mais trancher cette situation conflictuelle est la responsabilité du politique et, en dernier recours, du juge. Dit autrement, et plus directement, cette opposition au blocage et du filtrage exclut soigneusement les décisions qui pourraient être prise eu nom du droit d'auteur.

La réduction au blocage et au filtrage est, en elle-même, également problématique. Le blocage ou le filtrage sont les pratiques les plus radicales, pour ne pas dire les plus caricaturales. Le loup est plutôt à chercher dans les pratiques de priorisation (faire en sorte, notamment à l'aide de règles de gestion de trafic, qu'une communication soit plus rapide, plus prioritaire qu'une autre). Prenons ici encore une image simple : un accès théorique à wikileaks ne nous est que de peu d'interêt s'il est à 100 octets par seconde.

Embrayons sur la seconde partie des propos de Mme la Ministre, sur le paiement des FAI pour l'usage de leurs réseaux. Elle relève à la fois d'une méconnaissance du dossier et d'une écoute complaisante du lobbying des opérateurs.

En tentant de ne pas nous livrer à des explications excessivement complexes, rappelons deux points clés :

1) Les éditeurs de service en ligne payent déjà leur bande passante et leurs infrastructures.

Le paiement pour la circulation de données de l'éditeur vers le client a lieu aux deux extrêmités du «tuyau». Mieux encore, la plupart de ces éditeurs investissent dans des systèmes permettant de rapprocher leur public (éventuellement co-créateur/éditeur, mais c'est un autre débat) de leurs service. On parle ici de caches, ou encore de «CDN» (Content Delivery Network). Les plus gros de ces éditeurs de service en ligne (ESL), comme Google, déploient de gigantesques infrastructures dédiées à leurs services sur toute la planète.

Disons le très simplement : les éditeurs de service payent leur part. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le GESTE a longtemps milité pour un «tarif spécial» de la bande passante pour les éditeurs de service culturel.

Notons au passage que les opérateurs ont leurs propres «CDN» internes. C'est normal, c'est leur métier. Qu'ils aient envie que les éditeurs recourent à leurs services est logique. Qu'ils aient la capacité de le leur imposer est une autre affaire.

2) Les FAI sont payés par leurs utilisateurs pour leur fournir un accès de qualité au réseau.

La symétrie du volume des échanges (je dis bien du volume, pas des débits) n'a aucune espèce d'intérêt pour leurs clients. Bon nombre d'entre eux payent, entre autres, pour avoir accès à un réseau où YouTube et DailyMotion sont présents.

En demandant que ceux qui font une part essentielle de la valeur de leurs offres payent pour accéder à leurs clients dans de bonnes conditions, les FAI déploient ici une stratégie qui n'est pas sans rappeler celle de la grande distribution avec ses fournisseurs.

Il leur reste la possibilité d'augmenter le prix de leurs offres si la rentabilité n'est plus au rendez-vous. La lecture des bilans des principaux opérateurs rassure cependant sur leur survie à moyen terme...

Si les FAI plaident bien aujourd'hui pour que les ESL leur apportent un paiement complémentaire, il n'est pas pour autant obligatoire de reprendre aussi directement leur argumentation, ce même si la plupart des ESL sont étrangers et échappent largement à l'impôt en France.

Il est encore moins obligatoire de parler immédiatement de «service géré». Stéphane Bortzmerer, qu'on ne présente plus, a commis l'an dernier un billet très pédagogue sur cette terminologie.

Il y explique avec talent que :

  • l'internet est déjà géré, merci pour lui ;
  • la neutralité de l'Internet, c'est d'abord l'idée que l'intermédiaire (souvent le FAI) ne doit pas abuser de son rôle ;
  • service géré signifie en fait dans le débat sur la neutralité «service favorisé car rapportant plus».

Accepter que la diffusion de «contenus» (on parle ici le plus souvent de vidéo) soit généralement faite par des services gérés c'est :

  • renoncer à ce que le progrès technique (dont notamment le déploiement de la fibre) apporte une solution logique à cette évolution des usages - ce qu'il a toujours fait ;
  • donner aux opérateurs un gros bâton dont ils ne manqueront pas de se servir pour «taxer» indûment les ESL (comme les hypermarchés sont accusés de le faire avec leurs fournisseurs).

Le débat sur la place des «services gérés» intervient alors que l'attention du monde de la culture est focalisée sur l'arrivée de la télévision connectée. Les intérêts des FAI français et des lobbies français du monde de la Culture, effrayés par l'idée que la Google TV, l'Apple TV ou plus vraisemblablement la «Nouvelle Machine Encore À Inventer TV» deviennent la norme, sont pour l'occasion convergents. Alors que la chronologie des médias entrave avec une efficacité malheureusement redoutable le développement d'offres françaises crédibles, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que des connexions THD permettront à la Mamie du Cantal d'accéder à des services francophones extra-territoriaux de qualité. Là encore, pour autant, la solution n'est pas dans un protectionnisme rétrograde, mais plutôt dans l'accompagnement à la mutation.

Pour autant, et même s'ils sont souvent le masque d'appétits commerciaux, des services gérés sont parfois techniquement nécessaires. C'est historiquement le cas de la vidéo, avec la télévision sur ADSL. Même elles tendent à s'assainir, l'étude des pratiques des opérateurs de ces plateformes propriétaires est édifiante, surtout pendant les périodes où tel ou tel opérateur s'était mis en tête de devenir en premier lieu éditeur de services à valeur ajoutée. L'accès à une telle plateforme n'avait souvent rien de raisonnable et non discriminatoire. Les offres «exclusives» ont souvent marqué un recul pour l'internaute avec des pratiques confinant à la vente liée. Sur cet exemple précis, on voit clairement que l'on aurait beaucoup gagné à encadrer a priori, comme les exceptions qu'elles sont, ces plateformes.

En conclusion, j'estime toujours que :

  • L'activité des FAI doit être encadrée afin qu'ils apportent en premier lieu à leurs abonnés une connectivité internet aux caractéristiques claires. Exemple : ADSL 8 Mbps montant, 1 Mpbs descendant ; fibre 100 Mbps symétrique.
  • Les services gérés doivent être des exceptions validées a priori par le régulateur (aujourd'hui, l'ARCEP), et faire au minimum l'objet d'un accès raisonnable et non-discriminatoire par toutes les parties.
  • Il est plus que jamais nécessaire d'y voir plus clair sur les pratiques contractuelles en matière d'interconnexion. L'ARCEP doit être soutenue dans cette démarche.

Cette position est celle que mon ami Christian Paul avait convaincu le groupe socialiste de défendre à l'hiver 2011, avec cette proposition de loi.

Cette PPL avait été à l'époque un signal pour l'ARCEP et lui avait permis de justifier ses investigations sur l'interco.

Clairement, le débat sur les services gérés n'était alors pas clos. Corinne Erhel, notamment, avait indiqué sa digervence sur ce point.

Depuis cette PPL, Laure de Laraudière a déposé un nouveau rapport sur la neutralité du net soulignant l'intérêt d'une régulation a priori, comme celle qui a été mise en place aux Pays-Bas. Un consensus transpartisan sur une protection forte, et surtout effective, de la neutralité du net semble à porté de main. Ce n'est pas le moment de baisser la garde, par manque de maîtrise du dossier, par prégnance de la culture d'un opérateur historique... ou par un calcul cynique à courte vue.

Accepter que les «services gérés» deviennent un principe général de fonctionnement du net reviendrait à le vendre à la découpe. Aujourd'hui YouTube, demain Facebook, après-demain Twitter... On trouvera bien dans chaque cas une «justification technique». Ne resterait alors qu'un «internet résiduel» dédiée aux courriers électroniques, aux newsgroup et aux protocoles des années 90... Sombre perspective.

Un sérieux coup d'arrêt au filtrage en Europe

C'est l'excellente nouvelle du jour. Dans un arrêt qui fera date, la CJCE a sévèrement limité le recours au filtrage.

Arguant de l'équilibre entre les droits, elle motive son rejet de la demande dont elle est saisie par le risque de surblocage.

Résumé de l'arrêt de la CJUE :

Dans son arrêt rendu ce jour, la Cour rappelle, tout d'abord, que les titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent demander qu'une ordonnance soit rendue à l'encontre des intermédiaires, tels que les fournisseurs d'accès à Internet, dont les services sont utilisés par les tiers pour porter atteinte à leurs droits. En effet, les modalités des injonctions relèvent du droit national. Toutefois, ces règles nationales doivent respecter les limitations découlant du droit de l'Union, telle notamment l'interdiction prévue par la directive sur le commerce électronique selon laquelle les autorités nationales ne doivent pas adopter des mesures qui obligeraient un fournisseur d'accès à Internet à procéder à une surveillance générale des informations qu'il transmet sur son réseau.

À cet égard, la Cour constate que l'injonction en question obligerait Scarlet à procéder à une surveillance active de l'ensemble des données de tous ses clients afin de prévenir toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle. Il s'ensuit que l'injonction imposerait une surveillance générale qui est incompatible avec la directive sur le commerce électronique. En outre, une telle injonction ne respecterait pas les droits fondamentaux applicables.

Certes, la protection du droit de propriété intellectuelle est consacrée par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cela étant, il ne ressort nullement de la Charte, ni de la jurisprudence de la Cour, qu'un tel droit serait intangible et que sa protection devrait donc être assurée de manière absolue.

Or, en l'occurrence, l'injonction de mettre en place un système de filtrage implique de surveiller, dans l'intérêt des titulaires de droits d’auteur, l'intégralité des communications électroniques réalisées sur le réseau du fournisseur d'accès à Internet concerné, cette surveillance étant en outre illimitée dans le temps. Ainsi, une telle injonction entraînerait une atteinte caractérisée à la liberté d'entreprise de Scarlet puisqu'elle l'obligerait à mettre en place un système informatique complexe, coûteux, permanent et à ses seuls frais.

De plus, les effets de l'injonction ne se limiteraient pas à Scarlet, le système de filtrage étant également susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux de ses clients, à savoir à leur droit à la protection des données à caractère personnel ainsi qu'à leur liberté de recevoir ou de communiquer des informations, ces droits étant protégés par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En effet, il est constant, d'une part, que cette injonction impliquerait une analyse systématique de tous les contenus ainsi que la collecte et l'identification des adresses IP des utilisateurs qui sont à l'origine de l'envoi des contenus illicites sur le réseau, ces adresses étant des données protégées à caractère personnel. D'autre part, l'injonction risquerait de porter atteinte à la liberté d'information puisque ce système risquerait de ne pas suffisamment distinguer entre un contenu illicite et un contenu licite, de sorte que son déploiement pourrait avoir pour effet d'entraîner le blocage de communications à contenu licite.

Par conséquent, la Cour constate que, en adoptant l'injonction obligeant Scarlet à mettre en place un tel système de filtrage, le juge national ne respecterait pas l'exigence d'assurer un juste équilibre entre le droit de propriété intellectuelle, d'une part, et la liberté d'entreprise, le droit à la protection des données à caractère personnel et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, d'autre part.

Dès lors, la Cour répond que le droit de l'Union s'oppose à une injonction faite à un fournisseur d'accès à Internet de mettre en place un système de filtrage de toutes les communications électroniques transitant par ses services, lequel s'applique indistinctement à l'égard de toute sa clientèle, à titre préventif, à ses frais exclusifs et sans limitation dans le temps.

PC INpact propose une analyse détaillé de cet arrêt, qui mérite une lecture attentive.

Cet arrêt semble par conséquent remettre en cause la plupart des dispositions en matière de filtrage ajouté au droit français ces dernières années. LOPPSI2, ARJEL, etc. se voient donc limitées à des méthodes inefficaces (filtrage DNS d'un site de jeu non labellisé, par exemple), sous peine de porter atteinte à la vie privée ou de surbloquer.

Cette approche est, au passage, identique à celle retenue par les députés socialistes à l'article 4 de leur projet de loi "neutralité du net" examiné en hiver dernier :

Article 4

Les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ne peuvent restreindre les capacités d’envoi et de réception de données de leurs abonnés que : * avec l’accord explicite de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, dans un délai de 90 jours suivant leur demande ; * en cas d’urgence, en minimisant l’atteinte au principe de neutralité, et en informant l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes dans un délai de 48 heures. L’autorité émet dans un délai de 7 jours un avis sur l’adéquation des mesures prises ; * sur décision d’une autorité judiciaire indépendante. Une restriction ou interdiction d’accès ne peut être ordonnée que si elle n’a aucune incidence sur des échanges numériques de données autres que ceux directement visés.

On pourra également lire sur ce sujet : Numerama - Une Hadopi 3 contre le streaming déjà enterrée par l'Europe ?.

Le déséquilibre des échanges impose-t-il vraiment d'attenter à la neutralité du net ?

Un argument fréquemment avancé par les partisans d'une évolution de l'Internet vers plus de «services gérés» est l'encombrement des réseaux. Souvent annoncé, jamais avéré, il se double aujourd'hui d'un autre argument relevant en apparence du bon sens : le trafic deviendrait bien trop asymétrique. Le comportement des internautes a changé et leur appêtit pour les services de vidéo à la demande comme youtube ou dailymotion génèrerait des coûts insurmontables.

Stéphane Bortzmeyer a déjà très bien expliqué sur son blog en quoi les «services gérés» ne sont en fait que des «services favorisés», et dans la plupart des cas des «services favorisé car nous rapportant plus».

Revenons donc sur cet argument de l'asymétrie. Ainsi, un opérateur serait nécessairement pénalisé par les frais qui en découlent. Étrange affirmation, cette asymétrie étant causée... par les usages de ses clients, qui paient eux-même, dans le cas des particuliers, un abonnement mensuel. Vu les marges financières des opérateurs, il est permis d'estimer que ce flux de revenus compense largement les dépenses occasionnées.

Les éditeurs de service en ligne paient par ailleurs leur bande passante. Loin d'être les horribles profiteurs ou, pire encore en ces noires heures sarkoziennes, les immigrés clandestins du net, certains déploient même leurs propres infrastructures afin d'améliorer les conditions d'accès à leurs services. C'est notamment le cas de... Google, si souvent décrié, mais rarement pour de bonnes raisons, comme sa conception toute particulière du respect de la vie privée ou son optimisation fiscale.

Bref, l'équilibre du trafic n'est pas un objectif en soi. L'essentiel est plutôt de créer de la valeur pour ses clients avec une offre de qualité... et un service bénéficiaire. Ce qui est le cas aujourd'hui, sans porter atteinte à la neutralité du net. En voulant, à travers des services gérés, faire payer les éditeurs de services, les FAI se comportent un peu comme la grande distribution exigeant des marges arrière avant la loi NRE de 2001.

Des solutions techniques permettent par ailleurs de limiter ces flux, comme les systèmes de cache les rapprochant des consommateurs (CDN, «Content Delivery Network»). Là encore, les opérateurs jouent un jeu trouble, accusant des prestataires comme Akamaï de «se cacher derrière le peering» pour mieux ensuite tenter de fourguer leur offre de cache propriétaire... moyennant finance. Ou, là encore, comment faire payer les autres pour faire soi-même des économies.

Ces technologies de cache n'ont rien de neuf. Depuis toujours, bon nombre de systèmes d'information du net sont incapables de tenir la charge sans ces caches. C'est pas exemple le cas du système de nommage, le DNS, qui arrive à supporter la charge en la répartissant dans une hiérarchie de serveurs. La nouveauté est plutôt dans cette volonté de tout rentabiliser immédiatement, sans plus construire de bien commun bénéfique à moyen ou à long terme à tous.

Autre exemple de technologie permettant d'optimiser la distribution : le P2P. Quelque part, elle n'est qu'une extension du cache à tous les clients, qui deviennent à leur tour tous serveurs... Induisant une plus grande perte de contrôle sur la diffusion, elle s'est attirée les foudres de certains ayant droits et de leurs alliés et permet de limiter drastiquement les coûts de distribution.

À rebours de ce progrès technologique, il est question aujourd'hui de combattre le streaming. Gageons que demain, nous aurons à payer pour le DPI et les filtres qui nous seront infligés, que nous aurons un internet plus lent, moins sûr et où les créateurs ne gagneront pas un euro de plus.

Blocage et filtrage du net : Quand le gouvernement américain tente de légaliser sa guerre contre Wikileaks

Les États-Unis sont célèbres pour leur législation en faveur de la liberté d'expression, le fameux 1er amendement de leur constitution..

Quelque peu embarrassé par cette législation protectrice, qui l'empêche d'interdire purement et simplement Wikileaks en tant que tel, le gouvernement américain a attaqué cette dernière année Wikileaks de manière indirecte, en faisant pression sur ses fournisseurs de services. Registres DNS, fournisseurs d'accès et autres FAI n'ont, pour la plupart, pas su ou pas pu résister aux pressions de l'Oncle Sam, comme l'expose Yochai Benkler dans «WikiLeaks and the protect-ip Act: A New Public-Private Threat to the Internet Commons».

L'Electronic Frontier Foundation dénonce aujourd'hui le projet de loi SOPA («Stop Online Piracy Act»), qui prévoit la possibilité pour le Procureur Général des États-Unis d'ordonner aux moteurs de recherche, aux fournisseurs de DNS, aux hébergeurs, aux systèmes de paiement et aux acheteurs d'espace publicitaire de ne plus faire affaire avec une société :

«the Attorney General can seek a court order that would force search engines, DNS providers, servers, payment processors, and advertisers to stop doing business with allegedly infringing websites.»

Soit précisément ce qui a été fait contre Wikileaks et qui pourrait donc être généralisé demain contre d'autre sites. Mais de manière légale.

En prime, SOPA prévoit la création de listes noires privées et la possibilités pour les opérateurs de paiement de décider eux-même d'arrêter d'offrir leurs services à certaines sociétés suspectes.

Dans la course au blocage et au filtrage du net, les États-Unis auraient-ils décidé de reprendre une longueur d'avance sur l'HADOPI française ?

Un bouclier pour la neutralité du net ?

Pierre Col, vétéran de l'Internet français et qui faisait d'ailleurs partie des experts mis en avant par l'ARCEP lors de son colloque sur la neutralité du net a fait ces derniers jours une proposition intéressante : l'instauration d'un «bouclier internet».

On a connu d'autres déclinaisons du «bouclier». Un «bouclier rural» a par exemple été proposé l'année dernière par, entre autres, Fabien Bazin (maire de Lormes), Christian Paul et Germinal Peiro. Reconnaissons malgré tout à Pierre Col la paternité de la déclinaison de la formule au monde de l'Internet.

L'exercice auquel s'est livré Pierre Col est très pragmatique. À l'occasion de la transposition du paquet télécom, il voit une fenêtre de tir permettant, selon lui, d'adopter une disposition tendant à renforcer la neutralité du net. Ne jugeons pas sa proposition dans l'absolu (ce serait trop facile... et pas très honnête) mais dans ce contexte.

Pierre estime ainsi que :

Le seul point du texte relatif à ce thème est l'article 16 de l'ordonnance qui modifie l’article L. 36-6 du Code des Postes et des Communications Électroniques en y insérant cet alinéa : « Afin de prévenir la dégradation du service et l’obstruction ou le ralentissement du trafic sur les réseaux, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut fixer des exigences minimales de qualité de service. Elle informe au préalable la Commission européenne et l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques des motifs et du contenu de ces exigences. Elle tient le plus grand compte des avis ou recommandations de la Commission européenne lorsqu’elle prend sa décision. »

et propose par conséquent :

(...) à l'ARCEP une formule extrêmement simple, consistant en l'instauration d'un « bouclier Internet ». Cette règle stricte garantirait à un internaute que jamais plus de la moitié de la bande passante disponible sur le réseau qu'il utilise, dans le sens descendant ou montant, ne sera mobilisée par les « services gérés » proposés par l'opérateur. De ce fait, l'utilisateur sera assuré de disposer, en toute circonstance, d'au moins 50% du débit disponible sur sa ligne pour utiliser un accès Internet plein et entier, supportant sans restriction l'ensemble des protocoles et applications existants ou à venir, et ce pour tous les usages qu'il souhaitera avoir, sans aucun filtrage ni restriction technique d'aucune sorte.

Proposition intéressante et constructive, à laquelle je vois deux grandes limitations :

  • Elle fixe un seuil arbitraire de 50% de bande passante «réservée à l'Internet». Pourquoi pas 20%, pourquoi pas 80% ?
  • Elle laisse le choix des «services gérés» au FAI, altérant un peu plus la philosophie «end-to-end» de l'Internet.

Turblog n'a pas manqué de réagir rapidement en demandant :

@PierreCol si ma ligne fait 4mbps je suis donc privé de tvhd alors que je peux techniquement l'avoir ? #cestcon

Pour moi, les «services gérés» doivent être une exception, comme les socialistes l'ont défendu à l'Assemblée nationale en février 2011. Selon cette définition, les services gérés sont possibles (et parfois, à un instant t, en l'état de la technique, indispensables) mais doivent être encadrés par le régulateur. Il reviendrait donc à ce dernier de veiller à ce que l'atteinte à l'ouverture de l'Internet soit minimale. En imposant, par exemple, aux FAI de donner un accès dans des conditions raisonnables et non discriminatoires aux infrastructures permettant de rendre ce «service géré». Nous avons su imposer au tournant du 21ème siècle une contrainte similaire avec le dégroupage... Pourquoi l'Internet devrait-il être dorénavant une jungle dérégulée ? Consommateurs et éditeurs de services ont beaucoup à y perdre.

Bref, pour intellectuellement intéressante qu'elle soit, j'ai l'impression que la proposition de Pierre Col légitime en creux l'existence de services gérés contrôlés par les FAI. En tant qu'internaute, je ne suis pas fondamentalement contre les services gérés. Si réserver 80% de mon «tuyau de connexion au net» me permet de voir le film que j'ai loué sur CanalPlay sans une de ces trop nombreuses «erreur serveur», je serai ravi de pouvoir le faire. Mais je souhaite que cela reste mon choix.

Cogent vs Orange : une bataille rétrograde

Tel est le titre de divers billets que l'on a pu lire ça et là, et par exemple ici, relatant le dernier épisode des relations houleuses entre l'opérateur de transit Cogent et le premier FAI Français, Orange.

Cogent assigne aujourd'hui Orange car un de ses clients, Megaupload, s'estime discriminé. Selon ce site, la connexion des abonnés d'Orange à son service serait bridée.

Un élément intéressant de ce conflit nous est relaté par Univers Freebox :

De son côté Orange a accusé l’opérateur de ne pas respecter les règles d’échange de trafic Internet qui stipulent que le trafic doit être acheminé gracieusement tant que les échanges restent équilibrés entre deux opérateurs. Ainsi, Orange estime que Cogent lui envoie bien plus de trafic qu’il n’en reçoit (de 1à 4 voir de 1 à 8).

La manière dont certains FAI résument ces débats à une question d'équilibre des échanges ne lasse pas de m'étonner. Les internautes s'abonnent en effet à une de leurs offres pour, entre autres, accéder à un service comme Megaupload, YouTube ou quantité d'autres... Peu importe que le FAI ait une facture de transit à la fin du mois ou un peering déséquilibré si ses comptes sont dans le vert à la fin du mois.

En l'état, Orange dégage déjà une marge d'exploitation de 28%. Difficile, dans ce contexte, de ne pas partager l'interprétation de numerama des propos d'Orange : de telles limitations ne visent qu'à contraindre les internautes à recourir aux offres propriétaires du FAI (souvent auto-labellisées «service géré») ou à augmenter encore un peu plus les marges en faisant non seulement payer le client final mais en surtaxant également l'opérateur de service, pourtant créateur de valeur et acquittant déjà sa propre facture de bande passante.

Je trouve sidérant de voir ce réflexe de recréation d'une sorte d'AOL ou de Compuserve version 2011. Pour les moins de 30 ans : ces deux sociétés avaient fait en leur temps le pari d'une offre propriétaire et d'un accès réduit à l'Internet. L'histoire a jugé. Il est à craindre qu'Orange la fasse bégayer... ou porte un dur coup à l'Internet français.

À propos de l'ordonnance transcrivant le paquet télécom

Le cabinet d'Éric Besson, ministre de l'Industrie, a choisit de publier dès aujourd'hui l'ordonnance transposant le «paquet télécom», telle qu'examinée en Conseil des Ministres.

Le «Paquet Télécom», dont le rapporteur au Parlement Européen était Catherine Trautmann, rassemble deux directives et un réglement actualisant les codes en vigueur en matière de communication électronique.

En tant que tel, cette ordonnance contient donc un certain nombre de points positifs : elle apporte de nouveaux droits aux abonnés à un service de téléphonie fixe ou mobile, en leur permettant de changer désormais d'opérateur en un jour en conservant leur numéro(article 27) . Elle apporte une meilleure information aux clients en cas de faille de sécurité conduisant à la diffusion de données personnelles (articles 38 et 39). Elle encadre mieux le contenu des contrats que doivent proposer les opérateurs à leurs clients (article 33). L'Expansion.com, entre autres, aborde tous ces points.

Le présent billet revient sur certains de ces points, et quelques autres moins discutés, souvent sous la forme d'interrogations. Le sujet est complexe et une erreur d'interprétation est vite venue... Mieux vaut être prudent...

Concurrence plutôt que mutualisation

Le gouvernement a fait pour le déploiement de la fibre un choix profondément inéquitable. J'y reviens plus longuement dans une interview à paraître prochainement. Disons que sa politique est fondée sur la concurrence plutôt que la mutualisation. Ce choix est générateur de gâchis, les opérateurs ayant tendance à tous fibrer les zones les plus rentables, où le coût à la prise est le plus faible, sans même parfois mutualiser les travaux de génie civile. Bref, on aura bientôt 4 ou 5 fibres dans toutes les rues de Paris alors que les citadins renâclent à abandonner l'ADSL, qui leur donne aujourd'hui satisfaction et alors que les ruraux ont cruellement besoin d'investissement en THD, voir simplement en Haut Débit.

Dans ce contexte, on ne sera pas étonné de voir à l'article 3 le passage suivant :

1° Le 2° est complété par la phrase suivante : « A ce titre, ils veillent à l’exercice de la concurrence relative à la transmission des contenus et, lorsque cela est approprié, à la promotion d’une concurrence fondée sur les infrastructures »

Transparence et concurrence restent les deux mamelles de la politique de ce gouvernement. Que cela ne donne de bons résultats ni pour le fixe ni pour le mobile doit être accessoire...

Le 2° de l'article 9 relève pour moi de la même logique :

« 2° Imposer à toute personne qui a établi ou exploite des lignes de communications électroniques à l’intérieur d’un immeuble de faire droit aux demandes raisonnables d’accès à ces lignes, émanant d’un opérateur, lorsque leur duplication serait économiquement inefficace ou physiquement irréalisable ; l’accès se fait en un point situé à l’intérieur de l’immeuble ou au premier point de concentration si ce dernier est situé à l’extérieur de l’immeuble

En effet, pour limiter les coûts, le mieux serait de permettre le raccordement au NRO. Ce 2° n'est pas sans rappeler certains amendements étranges portés en 2007 à l'occasion de la loi télévision du futur et en 2009 lors de l'examen de la loi relative à la lutte contre la fracture numérique, poussés alors par France Telecom/Orange...

Vers plus de transparence du transit et du peering ?

L'article 4 crée un 2° à l'article L.32-4 du code des postes et des communications électroniques :

2° Recueillir auprès des personnes fournissant des services de communication au public en ligne les informations ou documents concernant les conditions techniques et tarifaires d'acheminement du trafic appliquées à leurs services ; ».

J'ai l'impression que cet alinea permet mine au gouvernement et à l'ARCEP de demander aux opérateurs des informations sur leurs contrats de transit et de peering... Ce ne serait pas un mal, l'opacité étant aujourd'hui la règle alors que certains opérateurs arguent des coûts de ce type pour justificer de certains de leur choix, notamment contre la neutralité du net.

Le raccordement au réseau dans le service universel !

Point positif : la définition du service universel est, avec l'article 11, modifiée pour intégrer «Un raccordement à un réseau fixe ouvert au public» en plus d'un service téléphonique.

Sans plus de précision sur les caractéristiques de ce raccordement, cela reste une coquille vide (une liaison 512 kbps est un raccordement, par exemple), mais est néanmoins un progrès.

Sur cette question, je recommande la lecture du rapport d'information «Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes», de M. le Sénateur Maurey, et plus particulièrement de sa section «Un haut débit à bas seuil».

Cette intégration en douce au service universel donne un certain relief aux arguments avancés par la majorité pour refuser, comme Christian Paul et les députés socialistes les y invitaient lors de l'examen de la proposition de loi sur la neutralité de l'internet cet hiver...

Des services passant d'un statut "obligatoire" à "complémentaire au service universel"

L'article 14 de l'ordonnance modifie l'article L35-5 du CPCE :

Aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 35-5 du même code, le mot :« obligatoires » est remplacé par les mots : « complémentaires au service universel »

Est ici visée «une offre, sur l'ensemble du territoire, d'accès au réseau numérique à intégration de services, de liaisons louées, de commutation de données par paquet et de services avancés de téléphonie vocale.»

À première vue, le changement est juste sémantique... Mais pourquoi l'opérer alors ? Le coup suivant est peut-être d'alléger les obligations concernant cette offre désormais uniquement «complémentaire»... Peut-être est-ce un excès de paranoïa, mais j'ai développé une grande méfiance envers ces petites modifications souvent présentées comme rédactionnelles et qui ont au final une importance non négligeable...

Neutralité du net

C'est un peu le parent pauvre de cette transposition. Alors que d'autres points font l'objet de dispositions non prévues par la directive (dixit la lettre d'accompagnement de l'ordonnance), la neutralité du net est traitée à minima, dans 3 articles différents.

L'article 3 prévoit ainsi que le ministre en charge des communications électroniques et l'Arcep doivent veiller à "favoriser la capacité des utilisateurs finals à accéder à l'information et à en diffuser ainsi qu'à accéder aux applications et services de leurs choix". Ce qui ne mange pas de pain, car cela n'empêche aucune restriction aux «services» qui leur sont proposés.

L'article 16 prévoit ensuite que

Afin de prévenir la dégradation du service et l’obstruction ou le ralentissement du trafic sur les réseaux, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut fixer des exigences minimales de qualité de service. Elle informe au préalable la Commission européenne et l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques des motifs et du contenu de ces exigences. Elle tient le plus grand compte des avis ou recommandations dela Commission européenne lorsqu’elle prend sa décision.

Il s'agit donc d'une action a posteriori en cas de certains bridages, blocages ou filtrages. La capacité à obtenir des information sur les accords de peering ou de transit de l'opérateur prendrait tout son sens ici. Difficile sans eux de comprendre quel problème se pose réellement... Les remèdes envisagées («exigences minimales de qualité de service») laissent également sceptiques. Si un opérateur décide que la VOD relève d'un «service géré» et doit donc faire l'objet d'un traitement particulier, que va faire l'ARCEP ?

L'article 33 prévoit enfin une simple information sur

« i) Les restrictions à l’accès à des services et à leur utilisation, ainsi qu’à celle des équipements terminaux fournis ;

Au final, on semble donc que le dogme neutralite = transparence + concurrence ait encore de beaux jours devant lui, au moins jusqu'en 2012...

Sur ce thème, on pourra également lire l'article de Guillaume Champeau sur Numerama.

L'article SNEP/SACD

C'est un classique dans les textes de la droite ayant même vaguement trait à l'Internet. Un article, au moins, doit porter sur l'information sur le respects des droits d'auteurs et des droits voisins.

Dans cet ordonnance, l'article 34 a cette fonction.Si l'on est presque surpris de ne pas voir apparaître en toutes lettres une référence au terrorisme ou à la pédopornographie, traditionnellement invoquées pour faire passer ce type de pilule, on y lit par contre que les FAI ont l'obligation d'informer sur :

- les conséquences juridiques de l'utilisation des services de communications électroniques pour se livrer à des activités illicites ou diffuser des contenus préjudiciables, enparticulier lorsqu'ils peuvent porter atteinte au respect des droits et des libertés d'autrui, y compris les atteintes aux droits d'auteur et aux droits voisins ;

Bon courage pour définir ce qu'est un «contenu préjudiciable», notion fourre-tout qui ne sera pas sans susciter rapidement un litige. La notion d'activité illicite est également problématique mais, depuis la «Loi pour la Confiance dans l'Économie Numérique» et son retrait des contenus «manifestement illicites», heureusement tempéré par le Conseil Constitutionnel, nous y sommes - hélas - presque habitués. Rappelons tout de même qu'illicite ne qualifie par uniquement ce qui est interdit par la loi (et qui est illégal), mais également ce que la morale réprouve.

Cookies

L'article 37 traite des «cookies», ces informations stockées par certains sites dans notre ordinateur. Il ne prévoit, en fait, qu'une obligation d'information sur la finalité recherchée. Une exigence de proportionnalité (certes présente de manière générale dans la loi de 1978) ainsi qu'une information sur la durée de stockage (et l'engagement par le site d'effacer automatiquement les cookies vieux de plus de X jours par exemple), étaient également souhaitables. Dans la société de l'information, nous constatons souvent, hélas, que l'information et la concurrence ne suffisent pas.

L'article 38 prévoit des sanctions en cas de violation des obligations définies à l'article 37.

Retour sur la proposition de loi «Neutralité du net»

La proposition de loi (PPL) du groupe socialiste sur la neutralité du net, initiée par Christian Paul et co-signée par plus de 70 parlementaires a été examinée en séance par l'Assemblée nationale le 17/2 dernier. Comme l'on pouvait s'y attendre, la droite, qu'elle soit parlementaire ou gouvernementale, a cherché à éviter le débat.

Un débat refusé

Pour bien signifier son refus de débattre, le gouvernement a demandé un vote bloqué, un vote unique sur le texte et sur tous les amendements qui ont été déposés. Craignant d'être mis en minorité, le gouvernement a également demandé la réserve de ce vote, reporté au 1er mars. C'est malheureusement le sort réservé à la plupart des PPL déposées par l'opposition ces derniers temps. On pourrait se demander comment on peut prétendre revaloriser le parlement en traitant ainsi l'opposition... Ce sera peut-être le sujet d'un autre billet. On pourra se satisfaire dans l'immédiat du commentaire de Jean Launay :

« C’est la manip habituelle, qui n’honore pas le travail du Parlement ! »

Pourquoi une PPL ?

De nombreux observateurs se sont demandés pourquoi déposer ainsi une PPL alors que des missions sont en cours, des rapports doivent être remis, bref, que le débat se poursuit. La question se pose apparemment d'autant plus que le destin d'une PPL déposée par l'opposition est assez prévisible... Elle appelle plusieurs réponses.

Un calendrier flou

La première porte sur la confiance que l'on peut avoir en la droite, et plus particulièrement en le gouvernement, pour se saisir de cette question. Les interventions le 17/2 de Corinne Erhel et de Jean-Marc Ayrault sont très explicites sur ce point.

Jean-Marc a ainsi rappelé le précédent de la loi sur les conflits d'intérêts, thème dont le gouvernement avait promis de se saisir, sans que l'on ait vu venir quoi que ce soit - si ce n'est quelques cas flagrants de conflits d'intérêts de plus :

« M. Jean-Marc Ayrault. J’ai écouté avec attention toutes les interventions – le rapporteur, la discussion générale, le président de la commission et la réponse du ministre – et je m’aperçois que, comme chaque fois que nous déposons une proposition de loi sur un sujet important, touchant aux libertés publiques ou à l’intérêt général, on nous répète la même chose : il est urgent d’attendre. On vient de nous le dire une fois de plus à propos de la neutralité d’internet. C’est pourtant une question essentielle et le ministre l’a expliqué à sa façon, même si je ne partage pas ses conclusions : une lutte féroce est engagée, pour le contrôle de la richesse des réseaux. Elle oppose les géants du numérique, les éditeurs de contenu aux fournisseurs d’accès et aux opérateurs de télécommunication. Les internautes ne doivent pas en faire les frais. Il n’est pas acceptable de réduire l’internet à un web public résiduel et de freiner l’innovation. Si nous laissons faire, l’égalité d’accès à internet ne sera plus demain qu’un lointain souvenir.

M. Christian Paul, rapporteur. Absolument !

M. Jean-Marc Ayrault. Avec cette proposition de loi, nous avons une occasion historique de nous prononcer, et vous avez une lourde responsabilité à prendre. Je sais que, comme toujours, vous allez demander la réserve et que le vote n’aura lieu qu’au début du mois de mars, après la semaine d’interruption des travaux de l’Assemblée nationale. Toutefois, ce matin, nous pouvons au moins débattre.

Cela me rappelle notre proposition de loi sur les conflits d’intérêt, il y a déjà de nombreux mois. À l’époque, on nous avait dit que ce n’était pas un sujet important, que ce n’était pas d’actualité, que l’on aurait à travailler plus tard sur ce sujet, que l’on nous ferait des propositions, qu’il était urgent d’attendre. Mais nous avions raison et l’on nous a indiqué, depuis, qu’il y aurait un rapport : il y en eut un, excellent, présenté par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, et dont nous approuvons l’essentiel des préconisations – auxquelles nous souhaiterions toutefois ajouter des dispositions concernant les parlementaires –, mais nous attendons toujours le projet de loi. »

Corinne, présidente de la mission d'information sur la neutralité du net, et peu suspecte de minoration de cet intéressant travail, s'est longuement interrogée sur le calendrier annoncé par le ministre, qui promettait, au mieux, de venir discuter avec la commission des affaires économiques en... novembre 2011 :

« Mme Corinne Erhel. ... Afin de resituer le contexte politique de ce débat, je reviendrai brièvement sur les différents travaux concernant la neutralité qui ont eu lieu depuis une année : les travaux de l'ARCEP ; le rapport gouvernemental apparu brièvement et qui a disparu aussi vite ; une table ronde au Sénat ; la transposition du paquet Télécom par voie d'ordonnances ; l’adoption d’un amendement concernant la neutralité mais qui ne concerne que les relations entre fournisseurs de contenu et fournisseurs d’accès, ce qui en réduit fortement la portée ; la mission d'information parlementaire ; enfin le texte que nous examinons aujourd'hui à l’initiative de Christian Paul.

En Europe, la consultation publique de la Commission européenne sur le sujet fera sous peu l'objet d'une publication. Aux États-Unis, la FCC, le régulateur américain, a publié récemment un corpus de règles sur la neutralité. La séance d'aujourd'hui devrait ainsi vous permettre, monsieur le ministre, de nous préciser votre opinion sur la question, vos récentes interventions suscitant plusieurs interrogations.

Le 30 novembre 2010, au sujet de la neutralité, vous avez déclaré devant la commission des affaires économiques que le Gouvernement avait « choisi de s'en tenir aux dispositions du paquet Télécom avant de procéder à une éventuelle évolution de la doctrine. »

Le 13 janvier 2011, en séance publique, vous demandiez à Laure de la Raudière de retirer son amendement sur le sujet en ces termes : « Pour l’instant, je vous serais reconnaissant de bien vouloir retirer votre amendement au bénéfice du débat que nous aurons prochainement. » Comme l’indiquait déjà un communiqué de presse la semaine dernière, vous annoncez des propositions pour le 30 novembre 2011 ; je vous rappelle que nous sommes le 17 février.

Le rapport de la mission d’information sur la neutralité des réseaux et de l’internet sera rendu public le 12 avril prochain, soit sept mois avant la divulgation de vos propositions. Vos déclarations nous inquiètent donc car vous semblez décidé à repousser le débat jusqu’à le rendre impossible puisque, en novembre 2011, nous serons à quelques mois d’échéances politiques majeures,…

Mme Catherine Coutelle. Eh oui !

Mme Corinne Erhel. …et je crains malheureusement que cette proximité nuise au débat, si elle ne sert pas de prétexte pour l’enterrer.

M. Christian Paul, rapporteur. C’est l’objectif du Gouvernement ! »

Difficile dans ce contexte de ne pas soupçonner une tentative de noyer le poisson jusqu'en 2012, le débat étant alors accaparé par la présidentielle. Il est donc manifestement nécessaire d'aiguilloner un peu le gouvernement et la majorité. C'est la première utilité de ce texte.

Il est, soit dit en passant, pour le moins curieux d'appeler à légiférer plus tard, une fois que le débat sera terminé, lorsque l'on traite d'un objet aussi mouvant que la société de l'information. Ce d'autant plus que le débat sur la neutralité du net n'est pas neuf, et me semble pour le moins formé.

Pour moi, deux philosophies s'opposent en réalité ici : celle d'inspiration libérale, au sens français du terme, consistant à laisser-faire puis à intervenir a posteriori. C'est celle de la Commission européenne et, manifestement, de la majorité. Elle est inopérante dans la société de l'information où, comme nous l'a expliqué depuis longtemps Lawrence Lessig, et comme l'a rappelé Christian, le «code» technique, une fois déployé, ne pourra que très difficilement être modifié par le «code» législatif. Elle nous condamne à l'impuissance . Une autre philosophie consiste à définir des principes et à demander à la technologie de s'y conformer. Elle est plus volontariste. Et, pour les mêmes raisons, plus efficace.

«M. Christian Paul, rapporteur. ... Enfin, mes collègues de la majorité comme le Gouvernement ont regretté que nous ayons considéré qu’il y avait une certaine urgence. Or nous ne travaillons pas ce matin dans la précipitation. Et nous n’avons pas le pouvoir de décréter l’urgence pour l’examen d’un texte, tandis que le Gouvernement l’a fait à de nombreuses reprises, y compris s’agissant de la loi HADOPI, qui vous a valu tellement de déboires. Oui, il est aujourd’hui nécessaire d’agir sans tarder.

Ce débat, Corinne Erhel l’a rappelé, a déjà lieu depuis deux ans au plan européen. Au plan mondial, les premiers articles sur ce sujet de Lawrence Lessig ou de Timothy Wu remontent à dix ans. Oui, il y a donc bien urgence à agir. Le débat est clairement constitué, au moins sur le terrain des principes. Qu’il faille ensuite des exceptions à ces principes, qu’elles soient encadrées, notamment en donnant un rôle éminent à l’ARCEP, cela pourra venir dans les articles, dans les amendements, ou éventuellement dans d’autres textes.

C’est le principe qu’il est urgent d’inscrire aujourd’hui. Demain, il sera trop tard, et nous voulons prévenir plutôt que guérir. Nous voyons bien que, dans le domaine de l’internet, le législateur et les gouvernements successifs courent derrière la société numérique. Nous vous proposons, pour une fois, de rattraper une partie de ce retard, et d’éviter d’intervenir a posteriori, quand il est généralement trop tard. C’est aujourd’hui qu’il faut le faire, et nous vous invitons à prendre vos responsabilités.

Pour la neutralité, le Gouvernement préconise de façon dilatoire de renvoyer à plus tard. Plusieurs d’entre nous, dont François Brottes et Corinne Erhel, ont parlé d’enterrement de première classe du débat. Je crois vraiment que le risque de déstabilisation de l’internet ne naît pas de la régulation que nous proposons, mais de la façon dont le marché impose ses modèles et ses lois. Oui, cela est déstabilisant pour l’internet que nous voulons.

Je rappellerai une intervention, qui n’est pas récente, ce qui prouve que ce débat n’est pas neuf. Il y a plus de dix ans, c’était en 1999, nous avions invité le grand juriste Lawrence Lessig pour les premières rencontres parlementaires sur la société de l’information. Il nous disait déjà ce jour-là qu’en matière d’internet, il y avait deux codes : le code des législateurs, qui arrive trop tard et qui est souvent impuissant, et le code technique, sur le réseau, qui est celui qui s’impose réellement.

Nous croyons, quant à nous, à la volonté politique et à la possibilité de l’exercer, y compris dans le monde numérique. Nous considérons donc qu’il est nécessaire d’écrire le code du législateur, et c’est ce que nous vous proposons de faire, avant que le code des opérateurs ne s’impose au détriment des valeurs que nous défendons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) »

Clarifier le débat

La seconde réponse - et seconde utilité - porte sur le fond du débat. Celui sur la neutralité du net est, depuis ses débuts, parti dans tous les sens. Sous prétexte de technicité, chacun avance en effet sa définition, de Pascal Rogard et sa neutralité «dans le respect du droit d'auteur» à tel opérateur acceptant le principe de neutralité tant qu'il peut prioriser les flux en fonction d'une crainte d'encombrement, voire afin de préserver un modèle d'affaire, en particulier sur les communications vocales, en passant par un ministre défenseur de la neutralité mais se piquant d'interdire wikileaks sans décision de justice un beau matin.

Il était donc pour le moins utile, dans ce contexte, de proposer une définition, de poser un principe, dont la discussion permettra au moins de cerner la réalité des positions. Celle proposée par Christian et le groupe socialiste a, contrairement aux motifs avancés pour refuser de voter, le mérite de la simplicité.

Je suis frappé de voir dans ce contexte le crédit donné par certains «médias de référence» aux propos d'Éric Besson invitant à ne pas faire preuve d'«absolutisme» en matière de neutralité du net, tout en appelant à ne pas s'intéresser au seul réseau mais également aux terminaux, aux services, aux moteurs de recherche, etc. Dans le même registre, le Sénateur Hérisson s'était attiré des moqueries en estimant que «trop d'update tue l'update». Apparemment, on peut, comme Éric Besson, estimer gravement que «trop de neutralité tue la neutralité» et être pris au sérieux. Certains journalistes gagneraient tout de même à ne pas s'arrêter aux communiqués de presse du gouvernement...

Quelques différences significatives

Malgré son refus de débattre, la droite n'a pu éviter de mettre à jour quelques différences importantes. J'en retiendrais trois.

Sur la définition de la neutralité du net

La première, que Christian Paul a brillamment résumé, porte sur la définition même de la neutralité :

« Cela peut signifier la transmission homogène des informations, c’est le point de vue que nous défendons avec le groupe socialiste. L’autre approche est l’accès non discriminatoire à différentes qualités de service. Cette seconde vision, l’accès non discriminatoire, certes, mais à des qualités de service différentes, c’est le début du cloisonnement de l’internet, de sa fragmentation, et c’est donc un risque majeur de disparition du réseau, et en tout cas une atteinte forte aux principes essentiels de l’architecture de l’internet.»

La neutralité comme principe et non comme exception

La seconde porte sur la définition de la neutralité comme principe et non comme exception. Dans son intervention, Christian a mis en garde contre l'idée d'une qualité de service minimal, d'un «internet résiduel». Bref, d'une philosophie selon laquelle il faudrait préserver la neutralité... des services existants, alors que le net s'invente toujours jour après jour :

«M. Christian Paul, rapporteur. ... Les fondateurs du net nous ont donné des services interopérables en nombre incalculable : le courrier électronique notamment, que chacun peut utiliser de la manière qu'il souhaite. Tout cela fait aujourd'hui partie de notre quotidien. L'histoire de l'internet ouvert ne s'arrête pas là. Nous devons inventer et déployer les outils permettant de distribuer de manière optimale les contenus les plus lourds, comme la vidéo, ou, au moins, préserver un cadre rendant possible cette invention. Une première innovation législative serait un arrêt immédiat de la guerre faite au partage qui, en rendant suspects la « superdistribution » et, plus largement, le peer to peer –, quels que soient les contenus concernés – cause un énorme gâchis de ressources.

Les services gérés sont l'avenir de l'économie numérique, nous dit-on. En est-on bien sûr ? Et qu'est-ce exactement qu'un service géré ? Sous prétexte d'une congestion maintes fois annoncée, jamais avérée, de puissants intérêts ne chercheraient-ils pas à se voir conférer des pouvoirs spéciaux ?

Mme Laure de La Raudière. Ce n’est pas çà !

M. Christian Paul, rapporteur. Il nous faut résister à la tentation du minitel 2.0.

Voilà pourquoi cette proposition nous invite à renoncer au renoncement.

Oui, la neutralité doit être le principe et non l'exception. C'est après l'affirmation du principe que des exceptions ou des dérogations peuvent être éventuellement envisagées, à titre temporaire et sous le contrôle de la puissance publique.

La FCC, le régulateur américain, évoque ainsi la « gestion raisonnable » du réseau. Pour autant, je vous mets en garde contre l’idée qui circule – y compris du côté du Gouvernement – d’une qualité de service minimal sur l’internet, qui pourrait être faussement protectrice, une sorte de net résiduel, de bande d’arrêt d’urgence sur le bas-côté des autoroutes de l’information.

De vraies questions restent posées. Par exemple comment mieux valoriser le réseau et faire contribuer davantage les grands éditeurs de services ? Les FAI doivent-ils être rémunérés exclusivement par leurs abonnés ? Le revenu de l'abonnement mensuel à l'internet doit-il revenir au seul FAI ? Comment investir sur les réseaux ? Qui doit le faire pour le très haut débit – le privé, le public, ensemble ou séparément – dont le déploiement est aujourd'hui sans pilote public, monsieur le ministre, je le dis solennellement ? Comment soutenir l'innovation ouverte ?

Il s’agit de vrais défis. Cependant faut-il, pour les résoudre, prendre en otage les principes essentiels de l'internet, et ainsi prendre les internautes en otages ?

Nous défendons une autre idée de l'avenir de l'internet, l'image d'une ville libre et non celle d'une galerie marchande confisquée ; la vision d'un système ouvert, où l'innovation n'est pas entravée ; l'idée d'une société à haute qualité démocratique, où la liberté d'expression serait définitivement impossible à brider.

L'internet est, comme la démocratie, la réussite d'un formidable pari sur l'intelligence collective et la capacité de chacun à tirer positivement parti de ses nouvelles libertés. C'est bien d'un pari qu'il s'agit. L'internet que nous connaissons aujourd'hui n'est qu'une étape. Après avoir redéfini le rôle de l'éditeur, nous avons encore beaucoup à construire. La diffusion centralisée de l'information et l'émergence de quelques géants des services, de YouTube à Facebook, appellent une nouvelle étape de l'appropriation sociale des possibilités du réseau. Demain, nous pourrions tous devenir diffuseurs de notre propre information ; garants de notre identité et de nos données personnelles.

En acceptant des exceptions au principe de neutralité qui ne soient pas fondées sur des caractéristiques objectives du réseau, sans intention stratégique, sans autre motivation que le contrôle de la qualité de service, ce sont bien des discriminations économiques, dans le sens le plus négatif de ce terme, que nous autoriserions Nous devons préserver le potentiel libérateur des technologies numériques.

Plus grave, la haine de l'internet est souvent un mépris de la démocratie. À un paternalisme qui proscrit la responsabilité, l'autonomie et la diversité, sur le plan démocratique comme en matière économique, nous préférons l'invention de nouveaux droits, l'extension des libertés fondamentales et un droit réel d'innover. C'est aussi la capacité pour le faible d'innover face au fort.

Ne nous trompons pas de combat. La bataille que nous vous proposons de mener est une bataille pour nos libertés. Ce matin ou demain, ce combat l'emportera, face aux arguments juridiques mobilisés à la hâte, qui dissimulent mal l'impuissance, face aux censeurs, aux intérêts puissants. Nous avons bien conscience d'éclairer l'avenir, de proposer des règles justes. Merci à celles et ceux qui auront le courage, en votant ce texte, de contribuer à oser vraiment la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) »

Pour certains, l'innovation sur le réseau serait nécessairement discriminatoire et synonyme de priorisation, filtrage, bridage. Quelle piètre considération pour la capacité d'invention de l'Internet... Il est vrai que lorsqu'on lutte contre ce qui est efficace, comme la superdistribution et le P2P, on doit bien se trouver d'autres types d'innovation...

Ériger la neutralité en principe n'empêche pas l'existence d'exceptions - les fameux «services gérés». La télé sur ADSL, par exemple, est pour moi l'exemple d'une exception que l'autorité de régulation aurait accordée sur la base de la PPL neutralité de Christian, si elle avait eu force de loi. Mais elle aurait alors été encadrée, afin d'éviter les distortions de concurrences avec l'audiovisuel «full IP», afin, par exemple, de garantir un accès non discriminatoires aux plateformes de diffusion. On notera au passage qu'en procédant ainsi, on évite de se donner la peine de définir la neutralité pour ensuite mieux donner une dérogation générale sous prétexte de «gestion de service», concept à ce jour tout aussi indéfini que la neutralité du net.

Pour un internet contrôle par tous ses utilisateurs

La troisième différence est dans la répartition du contrôle des priorités. Jean Dionis du Séjour l'a dit sans équivoque, il veut un Internet de services gérés, où les priorités des flux sont déterminées par les opérateur. La philosophie du texte socialiste est différente et raisonne par classe d'usages. Pour bien enfoncer le clou, un amendement affirmant que le choix de la priorité doit être à l'initiative de l'utilisateur a été déposé.

« M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 7.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Paul, rapporteur. L’objectif de cet amendement est de garantir que les internautes gardent clairement le contrôle de la façon dont sont acheminées leurs communications sur le réseau internet. C’est l’une des conséquences concrètes évidentes de l’architecture du réseau.

Il peut être justifié de traiter différemment les divers flux internet en fonction des besoins des usagers. Mais ce sont les utilisateurs qui doivent pouvoir le faire. C’est l’une de nos divergences dans ce débat : il nous paraît dangereux de laisser les opérateurs définir eux-mêmes ces besoins.

Nous avons proposé de poser le principe du choix de la classe de service par l’internaute lui-même, et l’exception de l’acheminement non prioritaire de la communication sur demande du fournisseur d’accès à l’ARCEP, ce qui conduit, vous le comprendrez, à renverser la charge de la preuve.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Éric Besson, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Cet amendement est important. Christian Paul a raison de parler de deux visions. Car cet amendement, s’il était adopté, contesterait aux opérateurs techniques la possibilité de gestion. Or nous voulons une architecture claire, avec, d’un côté, un internet qui soit un service universel dont on débat, et garantissant un internet de qualité à tous et, de l’autre côté, des services gérés. Mais il ne faut pas être ambigu : ils seront gérés à l’initiative des prestataires internet eux-mêmes, certainement pas à l’initiative des utilisateurs et de l’ARCEP. Cette architecture n’est pas la bonne. C’est pourquoi nous contestons fondamentalement cet amendement n° 7 »

J'ai pu lire ça et là qu'une telle liberté de choix était utopique... Commentaires qui ne sont pas sans rappeler ceux qui, en France, à la fin des années 90, prédisaient l'échec rapide de cet Internet «dépourvu de modèle économique».

Construire une position socialiste

La troisième réponse à la question "pourquoi une PPL ?" est que l'opposition, ou du moins celle qui aspire à gouverner, doit travailler sur un sujet tel que la neutralité du net. Une PPL n'est pas un texte rapidement écrit que l'on jette en passant sur un coin du bureau de l'assemblée avant d'aller prendre son quatrième café de la journée. C'est au contraire, du moins lorsqu'il s'agit d'un texte déposé par un groupe, comme c'est le cas ici, le produit d'un travail collectif. Ce travail est ici collectif à double titre : d'une part, avec le débat en ligne autour de ce texte organisé dès août dernier ; d'autre part, avec son passage devant les commissaires du groupe socialiste intéressés par cette question, membres de la commission des affaires économiques, de la commission des lois et de la commission des affaires culturelles. Tout comme pour le débat en ligne, ce passage aura permis d'améliorer le texte et de dégager un accord politique sur son contenu. Il est d'ailleurs significatif que les trois vice-présidents socialistes des commissions précités aient co-signé le texte.

Bref ,grâce à ces travaux, qui se sont étalés sur plusieurs mois, la défense et la promotion de la neutralité du net est devenue une position collective du groupe socialiste et du parti socialiste. C'est un résultat qui justifie à lui seul le travail important que cette PPL a requis.

Et maintenant ?

Je suis convaincu que cette position n'est pas exclusive. Que le gouvernement et l'UMP défendent des des positions similaires, et nous pourrions arriver à un texte voté à l'unanimité. Les manoeuvres dilatoires de l'UMP sur ce sujet n'incitent cependant, hélas, cependant guère à l'optimisme.

Amendement de Laraudière : une régulation de la neutralité du net ?

Laure de Laraudière a proposé un amendement au projet de loi donnant pouvoir au gouvernement de transposer le paquet telecom par ordonnance dont les analyses, comme celle de Numerama, m'ont surpris.

Je lis ça et là que Mme de Laraudière, à laquelle on ne déniera pas une sensibilité positive aux questions de la société de l'information, "veut imposer le respect de la neutralité du net". Ma lecture, texte à l'appui, est un peu différente...

Si l'on consolide l'amendement de Mme la Députée avec l'article L.33-1, le résultat est en effet :

«
L'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public et la fourniture au public de services de communications électroniques sont soumis au respect de règles portant sur :
    a) Les conditions de permanence, de qualité et de disponibilité du réseau et du service ;
    b) Les conditions de confidentialité et de neutralité au regard des messages transmis et des informations liées aux communications ;
    b) bis Les conditions assurant le respect par les opérateurs de communications électroniques du principe de neutralité dans l’acheminement du trafic ;
    b) ter Les conditions assurant aux utilisateurs finals la capacité à accéder à l’information et en diffuser ainsi qu’à utiliser les applications et les services de leur choix, sans préjudice des dispositions du a) ;
»

On le voit, il est ici question de demander à l'ARCEP de définir des règles. Lesquelles ? Cela reste à définir. Outre que cela n'engage pas à grand chose, je doute que cela résiste, sur le modèle de ce qui s'est produit pour l'AFNIC, à une question préalable de constitutionnalité (QPC)... Je vois mal, en effet, comment le Conseil Constitutionnel pourrait estimer que l'on ne définit pas le régime d'attribution des noms de domaine par décret et laisser le législateur déléguer la définition de règles au moins aussi essentielles à une autorité indépendante.

Bref, on est très loin de la PPL du groupe socialiste, initiée par Christian Paul, qui devrait être examinée en séance en février.

Neutralité ? Contrôle de l'Internet par les Internautes !

Introduction

Le net bruisse depuis quelques mois du débat sur sa «neutralité»... Du colloque à l'ARCEP aux rencontres sénatoriales sur la neutralité du net, les discussions publiques sur ce thème se multiplient.

Comme on pouvait le craindre avec un débat dont les enjeux de société sont dissimulés sous une épaisse couche de vernis numérique, les discussions ont rapidement porté sur la définition même de cette neutralité.

Il est ainsi désormais question de neutralité :

  • du réseau ;
  • des terminaux ;
  • des contenus ;
  • des moteurs de recherche

...et rien ne dit que l'énumération va s'arrêter en si bon chemin. Tentons de décoder le débat et d'en proposer une nouvelle formulation aux partisans d'un Internet ouvert et libre.

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