Rapport Lescure : de bonnes propositions pour le marché, des enjeux citoyens encore à traiter

Après des mois de travail, Pierre Lescure a rendu son rapport. Il succède dans cet exercice à Denis Olivennes (à l'époque PDG de la Fnac) et Patrick Zelnik, fondateur de Naïve.

À un vendeur de supports physiques et des appareils permettant de les lire et à un producteur succède donc l'ancien patron de Canal +. Cet énoncé est certes très réducteur - chacune de ces trois personnes est bien plus. Mais cette analyse grossière apporte cependant un éclairage intéressant à l'un des principaux apports de ce rapport : l'importance reconnue des distributeurs, essentiellement les éditeurs de service en ligne, et la proposition d'un train de mesures visant à permettre enfin l'émergence de plus de champions français.

Le rapport Lescure propose en effet notamment une mesure aussi emblématique que provocatrice pour les majors de la musique : la gestion collective obligatoire, si un code des usages de ce secteur n'était pas adopté et respecté par les producteurs :

«En outre, dans l’hypothèse où les producteurs phonographiques refuseraient la régulation négociée proposée plus haut (établissement d’un code des usages sur les rapports avec les plateformes et conclusion d’un accord collectif sur la rémunération des artistes), la mise en place d’une gestion collective obligatoire des droits voisins pourrait être envisagée. Il s’agirait de tirer les conséquences de la défaillance de la gestion individuelle qui ne permet pas une exploitation des œuvres dans des conditions satisfaisantes et qui crée des entraves au développement de l’offre, des distorsions concurrentielles et des déséquilibres dans le partage de la valeur.»

Toute personne s'intéressant de longue date à ce secteur ne peut que sourire, les producteurs n'ayant jamais ou presque respecté leurs engagements. L'hypothèse de non-respect est ici toute rhétorique. Il est très heureux de voir ceux qui bloquent le développement d'offres attractives depuis plus de 10 ans ramenés à une plus juste place. Cela me semble être un important symbole, insuffisamment remarqué.

Le rapport Lescure a d'autres vertus. Je tâche un peu plus bas d'énumérer celles qui me semblent les plus remarquables. Je ne lui reconnais cependant pas celle de chercher une paix entre les acteurs de l'Internet et ceux de la Culture. S'il prétend ne pas les opposer, c'est pour mieux regretter l'absence d'éditeurs français, à quelques exceptions près, et mieux désigner comme adversaires des sociétés américaines qui, comme toutes les multinationales du monde, pratiquent l'optimisation fiscale. Je n'apprécie certainement pas cet exercice, mais j'aimerais vraiment comprendre pourquoi on ne le condamne que pour le numérique, si ce n'est du fait du faible nombre d'acteurs français... Non, le rapport Lescure n'est pas un rapport de paix dans la société de l'information, ce malgré quelques avancées notables. Dès sa première page, il évoque ainsi

«La révolution numérique, multiple, universelle, réjouissante, débordante et aussi déstabilisante a, d’ores et déjà, changé le fonctionnement du monde et de nos vies. La révolution est là. Elle ne va faire que croître et embellir et c’est tant mieux.»

Il dénonce également

«Les contraintes liées aux mesures techniques de protection (« DRM » dans le langage courant), qui entravent certains usages, les restrictions territoriales, ou encore les limitations relatives aux supports ou aux moyens de paiement, sont également d’importantes sources de frustration.»

et appelle, page 17, à une régulation plus forte et plus large.

Dans la même section, il estime, mieux encore, que

«il est vain de vouloir éradiquer l’offre illégale et néfaste de stigmatiser ses usagers»

Dans le même esprit, le rapport Lescure appelle à un effort d'imagination et à ne pas recycler de vieilles recettes :

«Les instruments traditionnels mobilisés pour la régulation de la diffusion analogique (quotas de diffusion) ou de la distribution physique (soutien aux librairies, prix unique du livre) ne sauraient être transposés à l’identique dans le monde numérique»

Pour en finir avec les principaux points positifs, notons :

  • un appel insistant à mieux répartir la valeur, en garantissant la part de revenu des auteurs et des artistes-interprètes ;
  • une reconnaissance de l'auto-édition et de l'auto-production, notamment par des collectifs et des coopératives (page 20) :

«L’autoédition et l’autoproduction, rendues plus accessibles par les technologies numériques, permettent à un nombre croissant de créateurs de s’affranchir de la tutelle d’un intermédiaire et, ainsi, de conserver une part plus élevée des revenus de leurs ventes. Toutefois, sous réserve de quelques exceptions très médiatisées, les auteurs autoédités et les artistes autoproduits peinent souvent à se faire connaître et à émerger au milieu de l’hyper-offre numérique. Plus prometteuse est l’émergence de nouvelles formes d’organisation (coopératives d’édition numérique, collectifs d’artistes), qui garantissent aux créateurs un meilleur partage de la valeur que celui applicable dans les modèles traditionnels, tout en leur prodiguant un soutien artistique, technique ou commercial dont ils ne bénéficieraient pas en autoédition ou en autoproduction.»

  • l'appel à améliorer les exceptions éducation et handicap, page 37 ;
  • l'appel à mieux protéger le domaine public, page 38 :
    • en encadrant les partenariats public/privé,
    • en luttant contre les phénomènes de réappropriation,
    • en lui donnant une définition positive.
  • la volonté de conforter les licences libres (à la Creative Commons), notamment face à la gestion collective, page 39, en permettant de placer certaines oeuvres sous de telles licences tout en en confiant d'autres à des sociétés de gestion (comme la SACEM) ;
  • la prise en compte de l'importance des meta-données, essentielle à une bonne traçabilité des oeuvres et à une bonne répartition des droits (page 41).

Si ces avancées sont indéniables, elles n'éclipsent cependant pas les aspects négatifs de ce rapport. S'il met l'accent sur la répression de la contrefaçon commerciale et appelle presque à une légalisation en creux des pratiques à but non-lucratif, ses propositions en la matière sont particulièrement dangereuses. Pages 34-35, le rapport Lescure esquisse ni plus ni moins qu'une «SOPA à la française», un dispositif qui permettrait d'obtenir des intermédiaires techniques et financiers des mesures drastiques contre les acteurs soupçonnés de contrefaçon, sans les garanties que peut apporter l'intervention de l'autorité judiciaire.

Audacieuse sur la gestion collective obligatoire des droits voisins, la position de Pierre Lescure se fait bien plus dogmatique sur une éventuelle légalisation des échanges hors marché (lire la page 31). C'est ici quasiment un copier-coller des arguments des producteurs... Mais est-ce vraiment surprenant ? Pierre Lescure sait qu'il ne pourra pas faire passer toutes les mesures contenues dans son rapport. Il semble chercher à chaque instant jusqu'où il peut «secouer le cocotier», de manière suffisamment argumentée. Ne sous-estimons pas non plus l'importance de sa culture de distributeur. Les producteurs hurlent tout autant à l'inconstitutionnalité d'une légalisation des échanges hors marché qu'à la mise en place d'une gestion collective obligatoire, pour des motifs juridiques analogues. Il y a bien ici un choix, très politique, de ne pas prendre de front tous les acteurs en même temps, de ne pas ouvrir «le front du cinéma» en plus du «front de la musique».

Il reviendra à mon avis au politique - au gouvernement et, s'il ne fait pas son travail, au parlement - de se remettre au travail, d'élargir la perspective et de souligner que l'on ne peut pas raisonner qu'en termes économiques. Le choix de continuer à interdire les échanges non-commerciaux implique de lutter contre leur existence, et donc à une surveillance généralisée des échanges ayant des implications majeures pour notre société. Il revient à des élus mandatés par les Français de poser la question dans toute sa globalité et d'opérer les choix citoyens, et non des seuls acteurs d'une filière économique. Ils ont déjà commencé. Je n'interprète pas autrement les réactions de Patrick Bloche et de Christian Paul.

Le politique pourra également argumenter du respect des droits du public, mis en avant par le rapport page 15 dans la section «Proposer aux publics une offre abordable, ergonomique et respectueuse de leurs droits». J'affirme pour ma part qu'un internaute a le droit d'échanger des oeuvres sans but lucratif et que le distributeur qui ne lui apporte aucune valeur ajoutée par rapport au P2P ne mérite pas d'être rémunéré. En l'absence d'effet négatif clairement démontré sur les ventes, aucune compensation ne devrait être prélevée sur les internautes.

Le rapport Lescure tente également d'adapter le volet «recettes» de l'exception culturelle à l'ère numérique. Si la taxation des opérateurs de telecoms semble légitime, puisque ces derniers sont dorénavant les principaux distributeurs de «contenus», j'ai par contre un avis très négatif sur la nouvelle taxe (ou redevance : peu importe pour le consommateur-payeur) sur les «appareils connectés». Non pas par opposition de principe à une nouvelle taxe, mais parce qu'elle va à son tour frapper une fourniture de biens délocalisables. Hier, on achetait les CD en Belgique ou en Grande-Bretagne pour ne pas s'acquitter de la rémunération sur copie privée. Demain, on commandera dans ces mêmes pays ou directement en Chine son équipement, en réalisant une économie substantielle au passage. Quitte à demander une nouvelle contribution au consommateur, il faut le faire sur un bien ou un service non délocalisable. Je ne vois pas de meilleur candidat que l'abonnement à l'Internet.

Glissons sur les tentations «d'adaptation au cloud» en extrapolant les copies à distance à partir de la taille des supports physiques achetés, augmentant d'autant la rémunération sur copie privée existante. Elle part du postulat que le système de la RCP fonctionne, que son barême est indiscutable et qu'il ne faut qu'aménager sa gouvernance, tant pour ce qui est de la fixation des taux que de la répartition des 25% «de soutien à la création»... (pages 22 et 23)

La persistance de la croyance en ce genre de système dépassé, malgré l'ambition initialement affichée, est encore plus gênante dans certaines mesures envisagées de soutien aux éditeurs, qui relèvent plus de la logique d'un portail tel qu'AOL en 1998 que de l'Internet. Ainsi, le rapport Lescure veut favoriser les éditeurs vertueux, en imposant leur reprise par les distributeurs - j'attends avec impatience de voir les premières exigences de cette nature formulées à un Apple, un Google ou un Yahoo - ou pire encore une priorité de trafic. Malgré l'affirmation (page 3) de « l’absolue nécessité de la neutralité du Net », c'est bien de la mise à mort de cette dernière dont il est ici question... Bref, même si l'effort est indéniable, les réflexes de «contrôles des tuyaux» comme a pu le faire en d'autres temps le CSA avec la radio et la télévision restent présents, dans une moindre mesure, mais tout aussi anachroniques.

La proposition la plus curieuse, du moins sur le seul plan de la logique, concerne l'adaptation de la chronologie des médias. Le rapport Lescure propose en effet essentiellement d'avancer la fenêtre de disponibilité en vidéo à la demande par abonnement à 18 mois et d'expérimenter des avancées de la fenêtre de vidéo à la demande hors abonnement (page 17). Dans la même section, le rapport traite de la disponibilité des séries étrangères, souhaitant accélérer leurs sous-titrage et les rendre disponibles plus tôt. Alors qu'une série comme «Games of Thrones» est massivement téléchargée dès sa première diffusion, on ne peut que s'étonner de la faiblesse de ces mesures. Les internautes attendront sans aucun doute, parce que Pierre Lescure l'a proposé, 18 mois plutôt que 36 pour accéder par abonnement à des oeuvres qu'il peuvent pour la plupart trouver immédiatement en P2P (et parfois avec une qualité supérieure, comme le rapport le pointe lui-même)... ou pas. Si ces propositions défient la réalité, elles n'en sont pas moins le reflet de ce que les professionnels de la profession sont prêts à accepter... Bref, on est ici en plein hollandisme, en pleine recherche d'un consensus introuvable là où il faut assumer une rupture et oser la mise en place d'une chronologie des médias autorisant tous les types d'exploitation d'une oeuvre dès sa première communication au public, comme le propose Philippe Aigrain depuis plusieurs années...

Symbole de la politique culturelle numérique de Nicolas Sarkozy, les lois hadopi et la haute autorité qu'elles ont mise en place sont bien évidemment abordées par ce rapport. Les passages qui en traitent sont parmi les plus étonnants, reprenant sans sourciller le bilan de son action par l'autorité elle-même et les affirmations péremptoires non étayées de ses partisans. Ainsi, la Hadopi aurait un effet avéré, ne coûterait pas si cher (!) et ne devrait être aménagée qu'à la marge, en remplaçant la suspension de l'accès internet par une amende de 60 euros (ou plus en cas de récidive), en transférant la gestion de la riposte graduée au CSA... Pourtant, les pratiques illicites n'ont pas été enrayées en France, même moins que dans bien d'autres pays... Là encore, il semble que Pierre Lescure ait choisi de ne pas prendre de front les partisans de l'hadopi, qui font de cette dernière une quasi-religion, et de mettre le gouvernement et le Parlement face à leurs responsabilités.

En conclusion, on espérera que le gouvernement, puis le Parlement, sauront retenir du rapport Lescure ses aspects touchant à la régulation du marché. Tout comme le rapport Zelnik, il comporte plusieurs propositions intéressants en la matière. Et l'on tentera, sans trop d'espoir au regard de la première année de mandat de François Hollande, de convaincre qu'il est temps, plus que temps, d'avoir une vraie «politique de civilisation» qui reconnaisse tous les apports du numérique au-délà du seul secteur marchand et légalise les échanges à but non lucratif.

Le numérique français, coincé à l'époque de «The Artist» ?

(édition : titre original "Une France numérique en noir et blanc ?" modifié en "Le numérique français, coincé à l'époque de "The Artist" ?, selon la suggestion d'Henri Rouillier du Nouvel Obs)

Les médias reviennent ce matin à juste titre sur la belle victoire de "The Artist" aux Oscars. Remportant les récompenses du meilleur film, meilleur acteur, meilleur réalisateur, meilleure musique et meilleurs costumes, est célébré comme le symbole de la réussite du cinéma français.

Le Président de la République a cependant gâché la fête en tentant immédiatement une OPA sur ce succès et en l'attribuant, avec ce culot qui est sa marque de fabrique, à l'HADOPI. Que cette loi aussi répressive que régressive n'ait pas rapporté un euro à la création et que le film ait ironiquement été financé par... Studio 37, la société de production d'Orange n'a probablement aucune importance. Le sarkozysme est depuis longtemps une non-pensée hors sol entretenant un rapport lointain avec la réalité, ergotant au fil des évènements, sans colonne vertébrale idéologique ni même de cohérence.

Cet état de fait pourrait être simplement amusant s'il n'était pas amplifié par une certaine paresse médiatique. Quel journaliste se livre à un exercice basique de «fact checking» ? Qui pour demander au désormais candidat sur quels chiffres, sur quelle analyse il s'appuie ? Comme depuis toujours en France (il en était de même sous François Mitterrand), le Chef de l'État ne saurait être interrogé, repris. Le droit de suite reste cette petite chose charmante propre à nos amis anglo-saxons.

Cette profonde carence de notre démocratie ne contribue pas à réduire la fracture entre des dirigeants pour beaucoup issus du même moule des sciences politiques et une société numérique en rapide évolution, dont les acteurs les plus innovants ne sont souvent pas issus des grandes institutions ou des grandes filières nationales.

Nos amis américains font peut-être d'ailleurs ici une nouvelle fois preuve de cet humour délicieusement moqueur envers nos travers bien nationaux. Le premier film français ainsi primé à Hollywood a été tourné à Los Angeles, et est un hommage muet en noir et blanc... au cinéma américain. «So French !» a-t-on envie d'ajouter, en se disant que les Folies Bergères, l'arc de triomphe et le «gai paris» ne sont pas bien loin.

Au nom de la défense de notre Glorieux Passé et d'une conception absolutiste du droit d'auteur remontant au 18ème siècle, la France continue, en refusant de prendre acte du changement de civilisation induit par la possibilité donnée à chacun d'être non seulement client mais également éditeur de services et de contenus, à mener une véritable guerre à la société de l'information. En plus de voter une litanie de lois idiotes, la France réagit en effet en créant... de nouvelles administrations. Avec cependant, reconnaissons-le, une petite touche sarkoziste innovante : le clientélisme. Aux producteurs de musique et de cinéma est ainsi offerte une HADOPI, coûteuse machine à envoyer des courriers d'avertissement. Aux entrepreneurs du numérique est offert un «Conseil National» nommé par le Président de la République, et que l'on consulte quand cela ne dérange pas trop. Au monde de la musique est promis un «Centre National», dont l'objet principal est de soutenir la production alors que le problème essentiel est de diffusion. Autant de «machins» coûteux et inefficaces, sauf pour répandre la parole du candidat-président - et c'est bien là l'essentiel.

Le mal est très profond et ne relève manifestement pas d'une classique coupure droite/gauche. L'équipe de François Hollande brille en effet par son conservatisme en la matière. Se défendant de ne promouvoir que la culture numérique commerciale pour mieux se concentrer exclusivement sur cette dernière, elle refuse, par peur de déplaire aux lobbies, de choisir entre le saut dans le 21ème siècle et la défense du droit d'auteur à la papa, en estimant qu'«il y aura toujours une petite part d’échanges entre individus, qui sera limitée, marginale, face à laquelle il n’y a pas à avoir de démarche répressive» tout en scandant au MIDEM qu'il n'y aura ni dépénalisation ni légalisation de ces échanges. Comprenne qui pourra... Ce classicisme ne s'exprime hélas pas que sur le seul sujet - emblématique - de «l'après-HADOPI». Pour soutenir l'innovation dans le numérique, le candidat socialiste propose la mise en place... d'une banque des PME. Soit un retour en arrière de 10 ans vers la BDPME. «Le changement, c'est maintenant» ? On remarquera au passage qu'une telle proposition n'a rien de clivant. De la gauche, on attend tout de même qu'elle s'attelle à permettre à chacun d'entreprendre plutôt que de proposer des mesures qui ne bénéficieront in fine qu'à ceux qui ont déjà des fonds propres ou sont capables d'inspirer confiance à une banque (les prêts des institutions publiques comme Oseo ou l'ex-BDPME sont toujours conditionnés à l'obtention d'un prêt auprès d'une banque).

Cette France numérique en noir et blanc n'est pourtant pas une fatalité. Le réalisateur de «The Artist» souligne lui-même qu'un de ses précédents films, «La classe américaine» «n'existe que grâce au téléchargement illégal». Il est temps d'arrêter d'obtempérer servilement aux injonctions des rentiers et de leurs lobbies et de se désintoxiquer de la nostalgie du «bon vieux temps». Il est temps de repartir de la réalité des pratiques et de leur impact pour rétablir l'équilibre entre les droits dans la société de l'information, gravement perturbé par les intégristes de la «propriété intellectuelle». Il est temps d'enfin se préoccuper du public, des innovateurs, mais aussi des artistes, des créateurs et de leur donner de nouveaux droits et des institutions adaptées.

L'attaque contre les Allo et l'Hadopi 3 telle qu'esquissée par l'Hadopi

Le bruit courait dans les «milieux autorisés» depuis des mois. C'est maintenant confirmé : les ayants droit attaquent sur la base de l'article 336-2 les sites AlloStreaming, AlloShowTV et AlloShare (AlloMovies, également cité, renvoie vers AlloStreaming).

Cet article 336-2, vivement dénoncé lors de l'examen du projet de loi DADVSI, dispose que :

En présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des sociétés de perception et de répartition des droits visées à l'article L. 321-1 ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier.

En pratique, cet article permet de s'en prendre aux moteurs de recherche (qui auraient été mis en demeure dès le mois d'août), aux FAI et aux hébergeurs de ces sites, ainsi qu'à d'autres prestataires comme les fournisseurs de noms de domaine, que je n'ai vu mentionnés dans aucun des articles traitant de l'affaire. On notera d'ailleurs au passage que les ayants droit restent volontairement vagues sur les services visés, invitant ainsi le juge à faire son marché.

La publicité de cette assignation coïncide avec l'esquisse de propositions par l'HADOPI pour «s'en prendre au streaming», selon l'oukaze présidentiel.

Si les deux relèvent de la même philosophie et sont similaires, on pourra remarquer deux nuances :

  • Les propositions de l'hadopi prévoient explicitement de s'attaquer au grisbi, aux flux financiers alimentant les sites de streaming illégal, ce que me semble plus large que l'article 336-2. L'HADOPI ne préconise en tous cas pas moins, évoque «tous les intermédiaires» permettant le fonctionnement et voit bien son travail comme un complément de ce dernier article.
  • Les ayants droits se cantonnent aujourd'hui à des sites comme Allostreaming, qui ne font «que» de la contrefaçon (ou presque...). Gageons que l'hadopi aura à coeur de donner également la possibilité juridique de s'attaquer à des sites ayant notoirement d'autres usages, comme megaupload.com.

Les pistes de l'autorité de régulation Hadopi ne sont donc pas préférables à l'exploitation de dispositions prévues... par la loi Hadopi et aujourd'hui exploitées par certains ayants droit.

À propos de la taxe sur la bande passante proposée par la SACD

La SACD a répondu, comme d'autres organisations, à la consultation publique organisée dans le cadre de la préparation du plan France Numérique 2020.

Contrairement à ce que j'ai pu lire à droite et à gauche, je trouve sa participation tout à fait légitime. Si l'on parle de société numérique, difficile de ne pas entendre, entre autres, la voix des ayants droit. Il faut par ailleurs toujours lire avec attention ce que propose la SACD, son délégué général, Pascal Rogard, étant l'une des têtes les plus pensantes des «milieux de la création» sur les sujets numériques.

Il y a, tout d'abord, du bon dans la contribution de la SACD, qui n'a eu que peu ou pas d'échos. Sa proposition de réformer la chronologie des médias notamment au bénéfice de la VOD sur abonnement ou gratuite, me semble clairement aller dans le bon sens :

Il est essentiel que les règles sur la chronologie des médias puissent évoluer afin de permettre l’enrichissement des offres légales.

Or, face à des technologies émergentes et des modèles économiques qui ne sont pas encore stabilisés, le précédent accord, signé en juin 2009, semble peu compatible avec ce besoin de flexibilité et de souplesse et tend davantage à maintenir des équilibres existants qu’à créer des conditions favorables à l’essor des offres numériques, qui sont pourtant sans doute l’un des moyens les plus adaptés pour lutter contre la piraterie..

Plus que tout, rien ne justifie de repousser à respectivement 36 mois et 48 mois après la sortie en salles l’exploitation des films en vidéo à la demande (VàD) par abonnement et la VàD gratuite.

La seule véritable solution pour les ayants droit est l'émergence d'offres commerciales attractives. Les offres de streaming semblent avoir le vent en poupe, et leur faciliter l'existence ne peut être que positif.

Il y a également, et c'est le principal objet de ce billet, des mesures plus contestables, comme la proposition de créer une contribution sur la bande passante en faveur de la création.

Créer une contribution sur la bande passante en faveur de la création

Faire contribuer les acteurs délocalisés au financement de la création est un exercice difficile, dont témoigne le sort qui a été réservé à la fameuse taxe Google. Sans doute, la réflexion autour de la création d’une taxe, compatible avec les règles de Bruxelles, sur l’activité de ces géants du Net qui préfèrent éviter le territoire français est une voie à explorer. En avoir confié la charge au Conseil National du Numérique, dont certains membres représentent justement ces multinationales américaines du Net, n’est toutefois pas l’initiative la plus positive prise par les pouvoirs publics pour y parvenir.

Parallèlement, il est nécessaire de mieux identifier l’ensemble des recettes localisées en France afin de pouvoir toucher indirectement les entreprises délocalisées. Parmi celles-ci, la facturation de la bande passante par les fournisseurs d’accès devrait être sérieusement expertisée.

Face à l’explosion du trafic Internet (dans ses prévisions 2010-2015, Cisco prévoit une croissance moyenne du trafic de 23% par an) et à la nécessité d’assurer des niveaux d’investissement très élevés pour maintenir la qualité des connexions et également le déploiement des réseaux très haut-débit, la facturation de la terminaison d’appel data chemine désormais dans les rapports et réflexions politiques. Evoquée dans le rapport récent des députées Laure de la Raudière et Corinne Erhel, elle est aussi au cœur de la réflexion de la Commission européenne.

Ces nouvelles ressources, qui pourraient être dégagées et payées notamment par les entreprises délocalisées qui génèrent beaucoup de trafic en France, auraient naturellement vocation à participer au financement des réseaux. Mais, il est tout aussi envisageable que pour assurer le dynamisme du financement de la création, une partie puisse servir à régénérer notre modèle de soutien à la création.

La légitimité d’un tel financement reposerait également sur l’évolution des usages des internautes puisqu’à l’horizon de 2 ou 3 ans, les experts estiment que la vidéo, dans laquelle les œuvres audiovisuelles et cinématographiques tiennent une place importante, représentera au minimum 75% du trafic Internet.

Le seul mérite que je vois à cette proposition est de proposer une contribution accrue du net à la création.

Dans les faits, cela s'avère problématique à bien des égards. Sur le plan des principes, cette contribution ne semble tout d'abord pas emporter une autorisation nouvelle pour le public. Dans le cas où une telle autorisation venait à être envisagée, cela nous priverait également de la symbolique, importante, de l'acquittement d'une contribution en échange d'une nouvelle autorisation.

En pratique, l'idée peut sembler à première vue séduisante pour les acteurs français du net. Elle pose cependant deux problèmes. La contribution ne reste, d'une part, que marginale pour les grands acteurs étrangers du net. La France n'est pas un immense marché, loin s'en faut. Elle pénalise, d'autre part, plus fortement les nouveaux entrants. Dans un contexte de consolidation des offres autour de quelques sites bien établis, cela ne contribuera pas à l'apparition de nouvelles offres innovantes. Le GESTE militait même un temps pour un tarif spécial de la bande passante pour les éditeurs de services culurels...

En pratique, toujours, l'idée ne résiste pas à la réalité du routage des paquets de données véhiulant les communications électroniques. Il n'est ainsi pas rare qu'une communication d'un abonné français vers un service français transite par l'étranger. Comment cette réalité pourra-t-elle être prise en compte par une taxe sur la terminaison d'appel data ?

Enfin, et c'est le point le plus ennuyeux, la proposition de la SACD reste floue sur ce qui est réellement taxé. Est-ce la connectivité, la capacité à transmettre un volume de données? Ou est-ce le volume de données effectivement échangé ? Le second scénario serait clairement pénalisant pour le développement des usages.

À propos de l'interview de Fleur Pellerin à Électron Libre

L’exercice est en soit curieux. La chargée de pôle thématique de François Hollande donne sa première interview à… Électron Libre, notoirement de droite. C’est un choix.

Le résultat est à la hauteur de la recette. Fleur Pellerin, loin de démentir les errements de François Hollande, nous propose, en voulant avoir l’air de ne pas y toucher, une Hadopi bis pour remplacer Hadopi. Comme l'explique très précisément, comme à l'accoutumée, Marc Rees, de surcroît en écho à Éric Walter : une Hadopi qui avertit, c'est exactement ce qui est installé aujourd'hui rue de Texel. Dans ce contexte, je ne peux que partager l'interrogation de Guillaume Champeau : à quoi bon remplacer Hadopi par Hollandopi ?

Les déclarations de Fleur Pellerin posent un double problème. Le premier est de forme et de méthode. Elle prétend en effet aujourd'hui s'inspirer des travaux sur le numérique du « lab» (dont est largement issu le programme numérique du PS). Pour en avoir été l'une des chevilles ouvrières, je ne peux que réfuter toute parenté avec la «piste» aujourd'hui explorée par la chargée de l'économie numérique auprès de François Hollande. On peut y voir une tentative maladroite de rattraper sa prestation à l’EBG, où elle a notamment benoîtement expliqué que le projet de Hollande sur le numérique ne serait pas celui du PS. Remplacer le mépris par la récupération n’améliore cependant pas vraiment la proposition… Elle tente par ailleurs maladroitement de convaincre avec un discours contradictoire des interlocuteurs précis sur un sujet ne supportant pas l'approximation. Prendre le temps de l'étude, de la réflexion sans multiplier les déclarations intempestives semble urgent. Le monde numérique est peuplé d'une foule d'experts, à l'intelligence partagée et à la mémoire... d'éléphant. Le moindre faux pas, la moindre contradiction est tracée, analysée.

Le second problème, plus sérieux, est de fond. Pourquoi parlons-nous autant d'Hadopi ? C'est pour certains un abus, tant les «autres sujets» ne manquent pas. Mais l'Hadopi reste encore aujourd'hui «la ligne de front» entre deux visions antagonistes de la société de l'information. Accepter l'existence d'échanges échappant au contrôle du marché, voire de la puissance publique, est un pré-requis de la défense de la neutralité du net, d'une conception libérale de l'identité numérique, voire de la compréhension de la dangerosité de la création de fichiers centralisés comme celui «des honnêtes gens». À l'opposé, la restauration du contrôle, fusse à seule fin d'avertir, implique de mettre fin à la liberté de circulation en ligne, de déployer de nouvelles «grandes oreilles électroniques» et d'identifier chacun de manière sûre, si possible en des bases centralisées. Dans un cas, le contrôle du net reste dans les mains de ses utilisateurs - ce qui n'a jamais été synonyme de renoncement ou de «laisser faire». Dans l'autre, il est entre les mains de l'État et de quelques puissantes sociétés privées.

Comme l'a récemment rappelé la CJUE, un équilibre doit être respecté entre les droits. La lutte contre les atteintes aux droit d'auteurs et aux droits voisins ne justifie pas à elle seule le blocage, le filtrage ou l'atteinte à la vie privée. Or, cet équilibre d'intérêt général est très rapidement perdu de vue lorsque l'on recherche un équilibre entre les forces en présence. La première mission d'un lobbyiste est en effet d'architecturer l'espace de pensée du décideur. Poser des questions, indiquer des chemins, c'est influer sur la direction qui sera prise. Dans ce contexte, on ne peut que regretter la manière dont l'équipe de François Hollande a été composée. Peuplée uniquement de politiques et de technos, elle ne fait pas de place à la société civile.

Les biens communs informationnels, les bandes de spectres ouvertes et autres produits de la société de l'information construits selon des logiques de partage et de co-élaboration n'ont, par définition, pas de champion prêts à dépenser des sommes conséquentes pour défendre un monopole. Comme l'explique très bien Yochai Benkler en discutant du spectre, ils sont les grands perdants dans un système politique traditionnel classique.

La compréhension de la société de l'information dans toute sa complexité requiert un long investissement. Il ne suffit pas d'avoir une tête très bien faite. La Gauche ne manque pas de personnalités de qualité l'étudiant de longue date. Martine Aubry avait par exemple appelé Daniel Kaplan dans son équipe. Plutôt que de s'enferrer dans une option doublement perdante – pour le public qui rejettera le traçage et le flicage, pour les ayants droit qui ne gagneront pas un euro de plus et ne verront pas leurs œuvres revalorisées – il est temps de les solliciter et d'arrêter de prétendre tout découvrir à partir de zéro en quelques semaines.

Les propositions de l'HADOPI contre le streaming : un péril majeur

L'HADOPI a publié ses premières propositions pour lutter contre le streaming. Elles s'inspirent, sans surprise, et comme le relève Numerama, du projet de loi américain PROTECT-IP. Au menu, donc, des propositions visant les services de paiement et, parions-le sans trop de risques, les autres fournisseurs des services visés.

Une démarche qui représente un péril majeur. Le projet PROTECT-IP reprend en effet, de manière troublante, tous les instruments utilisés par le gouvernement des États-Unis dans sa lutte contre Wikileaks recensés par Yochai Benkler.

Souvenez-vous de l'affaire jeboycottedanone. Les responsables de ce site de protestation contre le grand groupe agro-alimentaire avaient été poursuivis pour contrefaçon de marque avant d'être relaxés au nom de la liberté d'expresion. Si le gouvernement suit les préconisations de l'HADOPI, il faut donc s'attendre à des atteintes d'une toute autre ampleur, peut-être en premier lieu contre Wikileaks, que le ministre de l'industrie souhaitait voir interdit en France en décembre 2010.

La copie privée attaquée

La copie privée est loin d'être un dispositif parfait. À la fois exception figurant à l'article 122-5 du code de la propriété intellectuelle depuis 1957 et rémunération créée par la loi de 1985, elle relève d'une logique pré-numérique et pré-internet.

Attachée aux supports, la rémunération de copie privée est en décalage avec le numérique, ses capacités de copie parfaites à moindre coût et la possibilité donnée à chacun d'être non seulement récepteur, mais également émetteur de données. Elle devrait idéalement évoluer vers un dispositif fondé sur les usages.

Pour autant, l'exception de copie privée (la partie qui autorise) pose un principe : celui du droit à faire une copie d'une oeuvre dont une copie se trouve être en notre possession.

À l'occasion de l'examen en commission du projet de loi sur la copie privée, un amendement a été adopté restreignant cette exception aux copies faites à partir d'une source licite. À première vue, rien que d'évident : je ne peux faire une copie que si j'ai eu légalement accès à eu oeuvre. À première vue uniquement, car juger de cette légalité peut être complexe. Le magasin ou le site où j'ai acheté un disque avait-il le droit de le vendre ? L'éditeur de ce disque avait-il les droits requis ? L'ami qui m'a offert un disque s'est-il bien assuré de la licéité de cette copie ?

Comme l'indique très justement La Quadrature Du Net, cette restriction vide l'exception de copie privée de son sens en la rendant impraticable. Et, sous le prétexte de réduire les montant prélevés au titre de la rémunération pour copie privée, c'est en fait un sale coup qui a été porté aux droits du public.

L'HADOPI 3, prochaine bataille prévisible de la guerre de l'Internet

Nicolas Sarkozy a annoncé aujourd'hui au Forum d'Avignon sa volonté de s'attaquer au «streaming», avec la mise en chantier d'une loi HADOPI 3.

Cela ne surprendra pas les analystes de la société de l'information. Et plus particulièrement ceux qui n'ont pas eu la faiblesse de prendre leurs adversaires de circonstance du «monde des industries culturelles» pour des imbéciles.

Si l'on trouve en effet dans ce monde passionnant encore beaucoup de techno-illettrés, certains leaders influents ont, eux, très bien compris le fonctionnement de l'Internet et mènent une bataille de longue haleine dont les objectifs sont :

  • faire émerger quelques acteurs dominants dûment sélectionnés pour leur docilité envers les industries culturelles ;
  • réarchitecturer l'internet ouvert en un réseau fermé, contrôlé, à la chinoise.

Pour atteindre le premier objectif, l'abus des droits exclusifs reste la meilleure arme. La «spotifyisation» des offres de musique en ligne, qui se voient imposer des obligations contractuelles visant à les rendre moins attractives que l'offre d'une société détenue en partie par les majors de la musique ne relève pas d'une autre logique.

Pour atteindre le second objectif, les industries culturelles ont besoin, d'une part, de conclure une alliance avec les fournisseurs d'accès internet. Cela «tombe bien», ces derniers ont également une soif de contrôle accru des échanges transitant sur leurs réseaux. Insatisfaits des marges pourtant déjà considérables tirés des abonnements, et arguant parfois d'un encombrement souvent avancé, mais jamais démontré, ils prétendent également aujourd'hui faire payer les éditeurs de service. Pour atteindre cet objectif, il faut discriminer les échanges. Et donc analyser puis filtrer ou bloquer.

Elles ont besoin, d'autre part, du soutien de la puissance publique. Cela, à nouveau, «tombe bien» : notre Président de la République est atteint d'une obsession répressive et ne conçoit de réponse aux nouvelles libertés apportées par le net que par l'intimidation, les poursuites, le filtrage ou le blocage afin que, surtout «tout change pour que rien ne change». Quelques lois prévoyant le filtrage ou le blocage ont déjà été votées, comme la loi sur les jeux. Les lois HADOPI 1 et 2 ont, elles, été conçues comme des opérations d'intimidation des internautes et des preuves d'amour envers des industriels des médias contrôlant également des journaux, forts utiles en période de campagne. Lorsque le séides de l'UMP auront saturé des réseaux sociaux qu'ils seront incapables d'exploiter positivement, le débat sera à nouveau pour l'essentiel dans les médias de masse, bien contrôlés par le parti majoritaire et ses amis.

Comme prévu, les internautes, pas fous, se sont détournés des réseaux P2P, premières cibles de l'HADOPI. Recourant au téléchargement direct, parfois en streaming, ils ont rapidement appris comment échapper au radar grossier de cete nouvelle autorité. Seconde étape, s'en prendre au streaming. Pour se faire, il faudra :

  • Analyser les flux transitant vers les serveurs des sites incriminés. Des technologies telles que le DPI, utilisées en Tunisie, en Libye et en Syrie pour espionner les opposants, pourront être utilisées ici au nom de la lutte contre les échanges numériques hors marché.
  • Bloquer ou filtrer les serveurs des sites incriminés.

En plus de les bloquer directement, cela induira nécessairement rapidement l'adoption de mesures similaires pour le trafic vers les serveurs mandataires (proxy) utilisés pour échapper à la surveillance du net.

C'est donc une surveillance généralisée du net qui se profile. D'un net redevenu une galerie marchande sur le modèle du kiosque du minitel, rentable à court terme pour les opérateurs. D'un net où seuls les contenus dûment estampillés/labellisés pourront circuler sous le contrôle de mesures techniques prétendant contrôler les copies. D'un net où les médias d'information seront bien sélectionnés et prompts à soutenir la campagne du parti majoritaire. Enthousiasmant, non ?

On parle souvent de l'HADOPI dès que l'on discute de politique du numérique. C'est pour certains un abus, tant les «autres sujets» ne manquent pas. L'HADOPI reste cependant «la ligne de front» entre deux visions antagonistes de la société de l'information. Accepter l'existence d'échanges échappant au contrôle du marché, voire de la puissance publique, est un pré-requis de la défense de la neutralité du net, d'une conception libérale de l'identité numérique, voire de la dangerosité de la création de fichiers centralisés comme celui «des honnêtes gens». À l'opposé, la restauration du contrôle implique de mettre fin à la liberté de circulation en ligne, d'identifier chacun de manière sûre, si possible en des bases centralisées. Dans un cas, le contrôle du net reste dans les mains de ses utilisateurs. Dans l'autre, il est entre les mains de l'État et de quelques puissantes sociétés privées.

Contrairement à ce que certains ont tenté de nous faire avaler il y a quelques fois, au moment de l'eG8, Sarkozy, et avec lui la droite, n'ont pas fait passer leur logiciel à une nouvelle version. Leur vision reste celle d'un espace étroitement contrôlé, où prospèrent les boutiques des amis du pouvoir et où la police veille sourcilleusement à ce que les échanges soient politiquement corrects, dans une langue bien châtiée et les jupes longues jusqu'au dessous du genou.

Google et brevets logiciels - «Don't be evil» ?

Le site sfgate publie une intéressante interview du conseil en brevet de Google.

Le conseil de la société dont la devise est «Don't be evil» y détaille une vision très pragmatique, voire cynique, de la brevetabilité du logiciel. Comparant la situation de la société de Mountain View à celle de Microsoft, il remarque ainsi que Google a le tort d'avoir un portefeuille de brevets moins gros.

La position développée sur le principe même du brevet sur les logiciels n'est guère différente de celle que Microsoft développe depuis des années. Le problème serait de faible qualité des brevets. De meilleurs modalités d'examen corrigerait implicitement la situation. C'est pourtant le principe même du brevet logiciel qui pose problème, comme François Pellegrini l'a brillamment expliqué depuis longtemps.

Au passage, le conseil de Google indique on ne peut plus clairement la motivation du rachat de Motorola par Google : mettre la main sur son portefeuille de brevets et aider ainsi les utilisateurs d'Androïd, dont notamment HTC, dans leur bataille face à Apple, en leur revendant certains d'entre eux.

On comprend, en conclusion, que Google serait probablement en faveur d'une brevetabilité illimitée s'il avait le plus gros paquets de brevets. «Don't be evil», vraiment ?

Réaction à l'article «Google est-il devenu totalement irresponsable ?» de Guillaume Champeau

C'est le titre, volontairement provocateur, d'un billet de l'excellent @gchampeau, paru sur son site Numerama .

Si Guillaume pose une bonne question en s'interrogeant sur les risques que pose l'hyper-puissance de Google, qui appelle effectivement la vigilance de la puissance publique, je suis en désaccord avec lui sur plusieurs points.

Google n'est, tout d'abord, par la première société a avoir ce niveau de pouvoir sur le secteur de l'IT. IBM en son temps, puis Microsoft, pour ne citer que deux exemples sur lesquels l'histoire a eu le temps de juger, ont été tout aussi dominateurs. Il n'y a pas grand risque à estimer que Twitter ou Facebook posent le même type risque aujourd'hui.

La volonté de nuire de Google n'est, ensuite, pas démontrée. Et je trouve assez étonnant de voir un moteur de recherche critiqué pour des tentatives d'amélioration de son algorithme. La recherche "neutre" est une vue de l'esprit. Nous voulons un moteur qui sélectionne pour nous, et le mieux possible.

Google est, par ailleurs, un géant aux pieds d'argile. En un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, vers 2001, Google a ainsi balayé Altavista, qui semblait alors indéboulonnable, en un peu moins d'un an.

Enfin, la dépendance de certains acteurs du web à leur niveau de référencement sur Google ne me semble pas être un argument convaincant. Investir dans ce que l'on appelle le SEO «Search Engine Optimization» est un choix, qui comporte des risques que l'on doit assumer en même temps que l'on en tire les bénéfices. (MAJ) Guillaume pointe d'ailleurs de manière intéressante lui-même la fragilité des algorithmes de référencement actuellement utilisé en signalant cette condamnation d'une société pour manipulation de résultats de recherche.

Contraindre Google dans ses évolutions serait, en l'état, donner un sacré coup de frein à l'innovation en ligne. Un peu comme si l'on évitait de construire des autoroutes par peur de nuire aux petites boutiques placées le long des départementales. Ou si l'on bridait le développement du chemin de fer pour protéger les palfreniers.

Google n'est pas une entité parfaite et est logiquement à la recherche du profit. Ses pratiques en matière de vie privée méritent probablement bien plus d'attention. En l'état, oeuvrer en faveur d'une société de l'information ouverte me semble plutôt passer par le soutien à des alternatives libres et distribuées.

Sortir du dialogue de sourds sur «l'après-HADOPI»

Un débat bloqué

Depuis quelques années, je rencontre régulièrement les différents acteurs des débats sur les droits d'auteur à l'ère du numérique. Rencontres le plus souvent intéressantes car, au-delà de nos désaccords, les interlocuteurs sont sincères et de qualité.

Je reste cependant frappé par la stagnation du débat depuis 2003. Ses termes restent la plupart du temps caricaturaux. Son objet n'est généralement qu'une partie du problème, comme la question de l'autorisation des échanges hors marché. Force est de constater que 6 ans après un certain soir de décembre 2005, bon nombre d'ayant droits sont encore convaincus qu'avec «la licence globale», le Parti Socialiste veut autoriser tous les échanges en ligne pour une poignée d'euros.

Cette stagnation nous est d'abord imputable. Nous n'avons pas su mieux expliquer. Peut-être est-ce également une question d'opportunités, mais il nous appartenait probablement également de les créer. Peut-être est-ce enfin parce que le dispositif présenté en 2005 traçait à la hache une ambition politique, sans trop se soucier de détails, la majorité étant de toutes manières assurée de faire passer son texte à la fin. La bataille était politique, notre rôle n'était pas de détailler un dispositif complet mais de pointer une alternative.

À force de patience et de répétition, les choses évoluent cependant. Ces dernières semaines, bon nombre de mes interlocuteurs que je rassemblerai dans ce texte sous l'étiquette «ayant droits» se sont montrés intéressés par une discussion plus précise... et donc plus utile. La plupart d'entre eux parlent «en off» et je ne vais donc pas me lancer dans un petit jeu de name-dropping qui n'ajouterait de toutes manières rien au propos.

Autoriser certains échanges est inéluctable

L'idée d'une «légalisation», d'une «tolérance», d'un «nouveau droit», ou d'une «autorisation» de certains échanges numériques sans accord préalable des ayants droit fait donc son chemin. Je parlerais par la suite «d'autorisation» pour désigner toutes ces options, ce même s'il est évident qu'une tolérance et un nouveau droit sont de nature différentes.

Mes interlocuteurs sont en effet, pardon de me répéter, tout sauf idiots. Après avoir fait le pari de la proposition répressive de la droite, ils ne peuvent aujourd'hui que constater son échec. Certains regrettent également le fossé creusé avec le public. Bon nombre d'entre eux se positionnent plutôt à gauche et ont des réserves instinctives envers une politique relevant de la surveillance généralisée et de la répression tout azimuth. Et la plupart d'entre eux comprennent bien aujourd'hui que l'on ne peut pas empêcher certains échanges à moins de payer un coût faramineux tant sur le plan de nos libertés que sur le plan économique.

Quel périmètre d'autorisation ?

Une question intéressante est donc celle du périmètre de cette «autorisation». Ce qu'il nous faut réussir aujourd'hui ressemble à une refondation de la loi de 1985 sur la copie privée, actant enfin la transition d'une logique de support à une logique d'usage. Il nous faut définir tous ensemble, non pas avec les seuls ayant droits, opérateurs de télécommunication ou public (de plus en plus co-créateur) le compromis acceptable. Parler de «cercle familial» n'a aujourd'hui plus de sens. Il nous faut une autre définition, adaptée à notre nouvelle réalité. Elle doit être à la fois claire et sujette à interprétation : on ne va pas énumérer des usages techniques ; nous devons graver des principes.

Quelle répression de ce qui n'est pas autorisé ?

Une seconde question intéressante est celle de la répression de ceux qui continuerait à violer la loi après que soit donnée une telle autorisation. Là encore, différentes options existent.

L'une d'entre elles est d'estimer que ces comportements relèvent nécessairement de logiques commerciales et d'appliquer la législation en matière de contrefaçon dans toute sa rigueur (3 ans de prison, 300 000 euros d'amende) et avec proportionnalité (en France, aucun juge ne condamnera aussi lourdement un particulier pour avoir échangé quelques fichiers).

Une autre est de définir une législation adaptée aux atteintes mineures. Si l'on n'y prend garde, cela peut rapidement devenir une hadopi bis. Cela peut également être une attribution de compétences et de moyens à une cour spéciale.

Combien d'argent pour les créateurs ?

Une troisième question est celle de la rémunération ou de la compensation donnée aux créateurs en échange de l'éventuel préjudice qui leur sera causé.

Tous les mots sont importants ici, et «rémunération» et «compensation» sont de natures différentes. Dans tous les cas, on s'accordera à dire qu'il s'agit de demander (un peu) d'argent à l'internaute pour le donner aux créateurs.

Ne pas perdre de vue l'essentiel : le blocage du marché

Mais la question essentielle reste ailleurs. Le problème fondamental qu'a aujourd'hui la «culture commerciale» est celui de l'inadéquation de l'offre et de la demande. Mettre en place un service de VOD par abonnement en France n'a par exemple rien d'évident, du fait des règles de la chronologie des médias et de la lourdeur des négociations de droits. Les catalogues sont fragmentés, les oeuvres deviennent disponibles selon des logiques échappant au commun des consommateurs. Télécharger depuis un site tel que megaupload reste bien plus simple.

Certains ayant droits ont, par ailleurs, clairement abusé de leurs droits exclusifs ces dernières années. Bien des éditeurs de service de musique en ligne ont été étranglés par des minima garantis exhorbitants ou par des exigences en décalage avec les attentes du marché.

Hier, il s'agissait par exemple de l'obligation d'utiliser tel ou tel DRM. Aujourd'hui, on semble assister à une «spotifyisation» des offres, à un nivellement par le bas des fonctionnalités offertes par les services concurrents. Il n'est par interdit de se demander si la présence au capital de spotify de majors n'est pas la cause de ces exigences.

La menace d'une gestion collective obligatoire

Bref, le marché ne fonctionne pas correctement. Et il nous faut voir en priorité comment améliorer cette situation.

Nous avons, dans le programme numérique du PS, exploré la piste d'une gestion collective obligatoire. Ayant les faveurs d'éditeurs de service en ligne, cette option à l'avantage d'enlever l'arme nucléaire de l'exclusivité des droits des mains des ayant droits.

Elle n'est pas sans défauts, mais a le mérite d'exister et d'être une option pour mettre fin à une situation qui n'a que trop duré.

Ajuster le droit de la concurrence ?

À ce problème de concurrence pourraient également correspondre des solutions plus classiques en ce domaine. Le régulateur pourrait se voir confier des pouvoirs étendus pour mieux surveiller ce marché, détecter les abus et y remédier. Il pourrait également intervenir pour casser certains «monopoles numériques», pour reprendre la terminologie du PDG de Miramax. Là encore, il est urgent de rentrer dans le vif du sujet.

À l'évidence, la chronologie des médias, ce système qui organise les fenêtres de disponibilité des oeuvres audiovisuelles, doit être adaptée.

Une responsabilité particulière : arrêter la guerre de tranchées contre le partage

Les principaux lobbyistes de la culture et des médias ont aujourd'hui une responsabilité particulière. Il leur faut sortir de leurs positions caricaturales, voire pour certains des stratégies de retardement mises en oeuvre depuis trop de temps. Les combats d'arrière-garde, comme celui contre la présence d'un client Bittorrent dans la Freebox Revolution ne relèvent à l'évidence pas d'une recherche de l'intérêt des créateurs, mais d'objectifs bien plus particuliers.

En poursuivant la guerre au P2P, on poussera, d'une part, un peu plus les consommateurs à se tourner vers le téléchargement depuis l'étranger, sans aucun bénéfice pour les créateurs. On renchérira, d'autre part, le coût de la diffusion et contribuera à donner plus d'importance à ces plateformes centralisées gourmandes en bande passante, comme YouTube ou DailyMotion.

Depuis au moins 10 ans, il est bien connu que le coût de la distribution par P2P est inférieur de plusieurs ordres de grandeur à celui de la distribution depuis une plateforme centralisée. Il est temps d'arrêter le non sens, d'arrêter cette guerre au progrès dont le coût économique et pour nos libertés est exhorbitant.

Conférence Hadopi Versus Licence Globale : Quels enjeux ?

Je participe mardi 13 septembre 2011 à un débat à la médiathèque des Halles sur le thème de la légalisation des échanges hors marché.

Annonce officielles et informations pratiques sur le site de l'organisateur.

Venez nombreux !!!


Le Mardi 13 septembre 2011 de 19h00 à 21h00 à la Médiathèque des Halles - 8 porte Saint Eustache 75001 Paris - Métro : Chatelet les Halles Conférence Hadopi versus Licence Globale : quels enjeux pour Internet et la création ? Libre Accès et Musique Tangentes posent la question de la viabilité, d’hadopi, de la licence globale à des acteurs politiques et des experts. Les enjeux liés à la création et à internet seront évoqués aux participants. Véritable sujet de société, la licence globale est une approche encore nouvelle en France, pays des droits d’auteur depuis 1777... Cette rencontre permettra à tout un chacun de se forger une opinion et de soumettre ses interrogations aux intervenants. Technopol soutient toutes les alternatives à la répression et les nouveaux mode des financement de la création."

  • Benjamin Bayart - Président de French Data Network
  • Benjamin Lancar - Président des Jeunes Populaires et Secrétaire National à la Nouvelle Economie à l’UMP
  • Ludovic Pénet - Laboratoire des Idées du Parti Socialiste
  • Maxime Rouquet - Président du Parti Pirate
  • un représentant de la SACEM (sous réserve)
  • Modérateur : Jérémie Nestel - Président de Libre Accès

Du danger de la persistence de l'illusion technologique

J'ai eu le plaisir de discuter ces derniers jours avec "un camarade" issu de la "sphère des producteurs de musique". Je n'en dis volontairement pas plus, la publicité de ce genre de rencontre ayant pour principal effet de congeler le débat...

Nous échangions plus particulièrement à propos du programme numérique du PS, et encore plus particulièrement de son volet "droit d'auteur". J'ai fait partie dugroupe qui l'a précisé, à partir du projet. À défaut d'être Le Parti ou Le Candidat capable de prendre des positions, je peux au moins expliquer et écouter.

Je provoque souvent de telles rencontres. Parce qu'échanger avec des gens avec lesquels on est d'accord n'est pas suffisant (!). Parce que nous sommes en démocratie et que je ne vois pas d'ennemi, ni même d'adversaire durable sur ce dossier des droits d'auteurs et des droits voisins dans la société de l'information (DADVSI, auront reconnus les plus vieux des lecteurs de ce billet. :-) ).

Plusieurs points m'ont cependant frappé cette fois-la. Peut-être parce que cette rencontre était la première après le sprint de la consolidation de plusieurs années de travail en ce qui est devenu le "programme numérique".

Tout d'abord, le besoin manifeste de mon interlocuteur d'être entendu et son sentiment d'être ignoré, sur l'air de "comment pouvez-vous envisager de faire des propositions sans les professionnels ?". Je tente rapidement d'expliquer que les producteurs ne sont pas les seuls professionnels du monde de la musique en ligne... Sans succès. Au delà de ce seul point, je ressens, comme depuis 10 ans, très fort cette désagréable sensation de ne pas être dans un dialogue. 10 ans perdus...

Ensuite, la persistence de l'argument d'autorité sur l'air de "nous sommes la musique, nous savons". Je tente à plusieurs reprises de faire valoir que, par leur comportement, les producteurs (oui, je généralise, mais je veux faire un billet, pas un roman) ont tué et continuent de tuer dans l'oeuf l'émergence d'une offre légale attractive. Même sensation de parler à un mur. Les Producteurs ont Raison. Cela ne fonctionne manifestement PAS, mais ils ont forcément Raison. Peu importe que telle ou telle startup ait eu à dépenser l'essentiel de ses levées de fond à payer des droits exhorbitants. Avoir à reverser autour de 85% de son chiffre d'affaire lorsque l'on veut proposer une offre de téléchargement musical est Juste. Même la fragmentation des catalogues ne semble pas suffisante pour justifier des solutions telles qu'une gestion collective à destination des professionnels, qui contribuerait à débloquer le marché.

Vient, forcément, ensuite la discussion du Grand Épouvantail, j'ai nommé la Licence Globale. Notons bien que ces mots ne figure pas dans le programme numérique du PS, qui préfère parler de la situation et du type de solution à adopter plutôt que de prendre le débat à l'envers, en partant d'un des dispositifs juridiques possibles. Notons également que ce programme parle de bien d'autre chose que de la légalisation des échanges hors marché. Abroger HADOPI est indispensable, mais pas suffisant. Mais passons. Là encore, les arguments sont les mêmes que depuis... 2003. On ne saurait pas répartir une contribution. Que la musique soit concernée depuis longtemps par ce type de dispositif n'a pas l'air important. Que le numérique offre de nouvelles possibilités de mesure, notamment si l'on s'assure de la collaboration des internautes, semble inimaginable.

Mais, et cela n'a pourtant rien de neuf, la confiance aussi aveugle que sélective de mon interlocuteur en la technologie m'a le plus frappé. De 2003 à environ 2007, les producteurs nous ont chanté les louanges des DRM, ces menottes numériques qui devaient permettre de faire durer le business à la papa de la vente de musique à la pièce. Évidemment, cela ne marche pas, le numérique étant allergique à ce genre de limitation et nos oreilles restant analogiques et interopérables. La valeur étant essentiellement aujourd'hui dans la facilité d'accès et l'éditorialisation, la perte de qualité inhérente à certaines méthodes de contournement n'était pas pénalisante. Après quelques recherches de clé USB à l'heure du laitier (souvenez-vous !) et avoir déchaîné la colère de quelques courageux qui ont perdu leur musique lors du changement de politique ou de la faillite d'une plateforme, voire simplement après un crash de leur ordinateur, les producteurs ont fini par baisser le pavillon des DRM.

Aujourd'hui, une autre illusion technologique est à la mode. On peut filtrer. Mieux, on peut analyser tous les échanges avec des outils de DPI. Puis couper l'accès Internet des "pirates". Et cela n'est pas liberticide, mon petit, pas de connerie. Que le Conseil Constitutionnel ait affirmé le contraire n'a pas l'air important.

Je me demande quel sera le prochain avatar de cette confiance aveugle en la technologie, au service du maintien de la rareté. Elle démontre, quelque part, que la technologie reste *neutre* et que chacun n'y trouve que ce qu'il vient y chercher, non ?

La technologie pourrait pourtant être utilisée différemment. On peut procéder à des sondages en ligne. On peut affiner la répartition avec des techniques de watermarking et en tirant partie de systèmes comme le DDEX, par exemple. Les solutions respectueuses des libertés fondamentales sont à portées de main. Mais il faut, pour les atteindre, comprendre et accepter que le droit d'auteur d'aujourd'hui ne peut pas être celui d'il a 50 ans. Parce que le monde et notre société ne sont plus les même...